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MARYLIS
C'est la maison et la glycine et le jardin,
D'où l'on voit les rails bleus entre les champs reluire.
Seul, un rosier fleurit au mur comme un sourire.
C'est la maison en deuil au détour du chemin.
Or, las du demi-jour trop étroit des charmilles,
Ayant ouvert puis refermé le vieux portail,
J'ai vu par le chemin venir trois jeunes filles,
Dans le murmure épars des ruches en travail.
Au bout de leurs bras nus balançant des corbeilles,
Elles venaient vers la maison et le jardin,
Pour piller en passant des grappes à mes treilles
Et s’en alIaient aux champs pour voir passer le train.
Elles couraient en secouant leurs belles tresses ;
Elles riaient tout haut en se parlant tout bas ;
C'étaient Jeanne et Laura qui furent mes maîtresses,
Et Marylis qui m'aime et ne le sera pas.
J'ai dit à Marylis : 0 Marylis, les vieilles
M'ont souri de malice en louant ta vertu.
Elles savaient que je t'aimais. Toi, le sais-tu ?
T'en souvient-il ? C'était un matin plein d'abeilles.
On t'avait dit : C'est le poète. Et tu passais
Souvent. Tes yeux allaient souvent à ma croisée
Où les roses s'ouvraient, lourdes sous la rosée ;
Mais lorsque j'étais là, vite, tu les baissais.
Et j'ai pris une fleur sur le mur tiède et rose
Et je me suis penché pour te donner la fleur.
Tu l'as mise à ta bouche et ta bouche et la rose
Ont doucement mêlé leur souffle et leur odeur.
Puis tu m'as dit : Ta voix, ton âme harmonieuse
Ont je ne sais quel charme inquiet mais berceur.
Que ta mère et ta sœur doivent donc être heureuses !
Je t'ai dit : Je n'ai pas de mère ni de sœur.
Et ton âme m'a plaint, Marylis, et ton âme
Espéra doucement des choses que je sais.
Depuis, j'ai tant rêvé de ton amour de femme,
Enfant, que je pleurais les soirs où tu passais.
Mais veux-tu ? Tu seras pour moi la bien-aimée.
Vois : la vie est sereine et belle, et nous sourit.
Le vol des bourdons sourds va, de l'ombre embaumée
Des glycines, au mur où le rosier fleurit ;
Un mendiant bénit, en partant, notre porte ;
Le pré vert resplendit sous un rayon vermeil
Et le bouc, qui broutait dans la rosée, emporte
Sur sa corne mouillée un rayon de soleil.
Je t'aime. Si parfois je suis triste, sois douce.
Je t'aime. Si parfois le regret odieux
D'un passé que j'adore, hélas! s'éveille et pousse
Son appel qui mettra des larmes dans mes yeux,
Sois douce. En abaissant tes mains pures sur eux,
Tu sauras effacer le rêve douloureux,
Tu sauras éloigner la mauvaise chimère.
Et moi, je frémirai sentant, dans sa douceur,
Descendre le baiser candide d'une sœur
Où tremblerait un peu de l'âme d’une mère.
Elle a souri, prête à pleurer, elle a couru
Pour m'échapper et pour rejoindre ses compagnes ;
Au bout du chemin blanc on voyait les montagnes
Dresser leur azur pâle au ciel d'un azur cru.
Et j'ai pris le chemin qui monte aux métairies
Et, quand j'eus dépassé la barrière des champs,
Je remplis mon cœur vide immensément, des chants
Et des parfums montant des campagnes fleuries.
Et maintenant, les yeux baissés, je vous revois,
Au sourd bourdonnement des frelons lourds et fauves,
Ciel bleu qui te penchais sur le mauve des bois,
Champs violets qui vous haussiez vers ces bois mauves.
Je revois ton amour candide, ô sœur des lis,
Je revois tes yeux bleus et purs, ô jeune fille,
Et le blond de tes cils baissés ô Marylis,
Où le soleil traçait un trait d'or qui scintille.
Puis les micas, éclairs nacrés du chemin blanc
Sur qui le pas poudreux des moutons gris grelotte
Et, reflétant le vol en cercle des milans,
L’eau verte où les poissons luisants glissent et flottent.
Mais j’écoute surtout ta chanson de fraîcheur
Ruissellement d'argent qui baigne tout mon cœur,
O vieux lavoir, où, sur le seuil doré de mousse,
Crispant son poing mouillé sur son linge bleui
Et secouant ses bras tout ruisselants de mousse
Une petite fille aux yeux bleus m'a souri.
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