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Devant le feu d'hiver le lévrier qui dort
Se réveille et, baillant, ouvre une gueule d'or.
Le reflet des tisons brille sur ses dents claires.
Les flammes ont parfois de subites colères;
Tu rêves incliné sur l'âtre et, brusquement,
Tu sursautes, saisi par l'éblouissement
Qui, t'aveuglant les yeux, t'éclaire jusqu'àl'âme.
Par instant, on entend une robe de femme
Longer le corridor et la porte grincer.
Ainsi tes jours : tout l'avenir, tout le passé.
Peut-être m'attends-tu dans l'ombre, car tu m'aimes,
O solitaire ami, pauvre hôte de toi-même.
Un train siffle et repart. La neige n'aura pas,
Ce soir, àrecouvrir la marque de mes pas.
La nuit qui va tomber t'en paraîtra plus morne.
Les taureaux, en passant, viendront frotter leur corne
A l'angle du chemin où tu ne pourras voir,
Sans frémir, s'avancer vers toi le bouvier noir
Avec son sac peut-être ouvert aux sortilèges.
Je songe àton destin pesant que rien n'allège,
Mais la robe au doux bruit repasse. Tout est là.
Appelle-la. Dis-lui qu'elle est belle. Aime-la.
Dehors, le monde gronde avec l'hiver qui vente.
N'écoute pas. Elle est mieux que l'humble servante.
Le ciel, sur tous les champs, est partout l'infini
Et l'amour est partout l'amour. Qu'il soit béni,
S'il te donne de voir, pauvre ami, pour une heure,
Qu'elle rit, qu'elle est belle et jeune, que tu pleures,
Qu'il n'est ni repentir au monde ni péché,
Et s'il vient t'éveiller dans cette ombre où, penché
Sur les chenets, tu meurs, lentement, devant l'âtre,
En écoutant ton cœur et la pendule battre. |