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Plein de remous, l'Adour allait dans le soir triste.
La cloche du collège a monté dans le soir
Et gravi le coteau pesant des Lazaristes.
Le Boudigau faisait dans le vent un bruit noir.
L'heure où notre âme souffre et pleure est éternelle.
Il a pourtant suffi du passage d'une aile,
(Chauve-souris qui va, heurtant la nuit d'été),
De cette cloche au fond de cette obscurité
Et des sifflets enfuis qui, par instants, s'élancent
Des trains fous emportés à travers le silence,
Pour que, se réveillant soudain, mon cœur flottant
Comprit qu'il n'étreignait qu'un atome du temps,
Qu'une heure de douleur n'est rien, dans la durée
Des mondes bleus épris d'une course azurée;
Qu'il valait mieux quitter pour un jour, simplement,
Cet orgueil de poète et ces douleurs d'amant
Dont tour à tour mon cœur s'illumine et se voile,
Pour rêver, ébloui d'immortelles clartés,
Et, loin des bois troués de pas humains, compter
Les pas de Dieu marqués dans le ciel des étoiles.
Le silence se fit plus profond. Et je fus
Tout à coup, de nouveau, par les halliers confus,
Pareil au bois tout plein d'hésitations noires.
Alors, ô mon ami, j'ai béni ta mémoire.
L'eau près de moi brillait et j'ai revu le puits
Dans la cour, près du puits les portes des trois granges,
La maison, le bureau qu'embaumaient des oranges
Et le jardin de sable entre des rangs de buis.
Et je m'en suis allé vers l'ombre du village.
On devinait parfois des toits sous le feuillage.
Tous les chiens aboyaient au passage. J'allais.
J'ai passé la prairie aux osiers violets,
J'ai vu, sur le chemin, l'ombre du presbytère
Humblement s'allonger à mes pieds, sur la terre
Et j'ai marché sur elle et je m'en suis venu.
Maintenant, je suis là. J'ai posé mon front nu
Sur la pierre. Le vent, dans mes cheveux, ondule
Rien ne vit plus dans la maison. On n'entend pas
Le moindre bruit. Pas même un chien. Pas même un pas
De servante ou le balancier d'une pendule
Dors-tu sans un remords dans ta nuit, au tombeau ?
Mon ami, qu'as-tu fait ? Ta maison était belle.
O souvenir ! Il est cruel qu'on se rappelle.
En septembre, le soir, quand le ciel était beau,
Les étoiles pointaient aux grappes de la treille.
Cette maison n'est plus à ta maison pareille.
La pierre reste froide et me glace le front.
Mon ami, qu'as-tu fait ? D'autres hommes viendront
Boire et rire à la place où révèrent nos âmes.
Qu'as-tu fait ? Qu'as-tu fait ? La plus belle des femmes
Viendrait dorer ce seuil obscur de sa gaité.
Que son rire serait misérable, à côté
De la grande douleur qui t'accabla naguère.
Rien, ici, ne vit plus. Et j'ai froid sur la pierre.
La mort ne t'effraya jamais. 0 souvenir!
Tu disais : Il faudra, puisque tout doit finir,
M'en aller sans fermer moi-même ma demeure.
Mais, avec moi, que rien de ces choses ne meure.
o rêveur!
Quelle nuit! Rien n'y vit-il encor ?
Non. Le bourg est baigné par la lune et tout dort
Mais là-bas, loin, le front dressé sur le ciel d'or,
Un homme, en sifflotant, s'éloigne sur la route.
Et moi je me souviens, hélas! et moi j'écoute
L'ami, mort aujourd'hui, me parler de la mort. |