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LE DRAGON DE LA GARE

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LE DRAGON DE LA GARE

Le Dragon de la gare

-Qu’est-ce que c’est que ce truc l� ?

Le souterrain suintait de partout, en gouttelettes qui tremblotaient du mouvement vibrant transmis par le rail. Au-dessus, le sifflement, puis le vacarme, et le long ébranlement du train qui donnait � la gare l’ondulation du tremble dans le vent.

C’était une gare singulière, où l’on sentait qu’il pouvait se passer quelque chose. Une gare de village. Elle était bleue pâle, coiffée d’un chapeau rouge tuile, avec � l’étage des volets de lagon, d’un vert profond et changeant, qui n’avaient pas dû être repeints de manière uniforme depuis longtemps, et auxquels le temps farceur avait donné des profondeurs tonales qui donnaient envie d’y plonger. Elle était coquette. Un liseré violet en faisait le tour, � un mètre de haut, comme autour du cou d’une jolie femme. Je cherchais mécaniquement où était le camée. A ma surprise, il n’était pas suspendu, mais il trônait en grande place sur un côté. C’était l’image d’un homme vêtu d’un uniforme bleu mer, usé par la pluie. J’y aurais bien vu la pluie sur la mer, dans le mouvement incessant des vagues et l’écume qui crache � chaque flot sa dentelle d’étoiles blanches. Mais non, le peintre officiel avait peint cet homme que la pluie lessivait en longs filets parallèles délavés, et la présence de ces longs traits qui tombaient jusqu’au sol, coiffés de la bulle arrondie du camée, donnait l’image d’une méduse. Le vent qui soufflait la faisait onduler. J’eus l’intuition qu’elle allait s’envoler au del� du toit rouge, montgolfière. Or donc, un ancien chef de gare, illustre � son passé (je n’écris pas � son époque, car on l’est rarement). J’étais descendu l� , au hasard du rail. J’avais pris un billet pour une destination lointaine, me réservant de descendre en cours de route si l’envie m’en prenait. Etait-ce une prescience ? Elle m’avait pris au cou. Et elle avait serré. Le liseré de tout � l’heure ? Non, pas une décoration, une nécessité, une destination comme on dit dans les transports d’aventure, une destinée. Mon cou s’était raidi. L’angoisse le burinait de sillons creux qui le faisaient ressembler � un pied de table d’ébénisterie ancienne. Je percevais nettement cette situation, elle était désagréable, et visuellement inesthétique. C’est pourquoi je m’étais dépêché de prendre ma valise et de descendre, dressant le col de mon grand imperméable pour me protéger du regard. Ce raidissement avait d’ailleurs cessé quand j’atterrissais sur le quai. L� , je respirais � pleine gorge, et faisais quelques pas comme un noctambule, au hasard des flaques d’eau où les nuages glissaient.

Mon reflet dans le creux de ces flaques me rendit une image métamorphosée. J’y voyais la face d’une espèce de monstre bleu, bardé d’écailles, dont le regard craintif et bon me rassura. D’une certaine manière, et très curieusement, c’était moi, ou du moins une correspondance. Je restais l� un certain temps, alors que les rares passagers descendus ici me bousculaient. Remis de mon étonnement, j’étais seul sur le quai. Je décidais de suivre les flaques du ciel qui jouaient au Petit Poucet, et prenaient la bonne direction de l’escalier du souterrain, lequel permettait d’accéder de l’autre côté, � la gare bleue et rouge. Je descendais les marches ; elles ondulaient aussi. En bas, tout avait cessé, tout était stable et calme. A douze mètres, on voyait l’échappée du jour par où remonter. Traînant ma valise, j’y allais. C’est alors que retentit le sifflement du chef de gare, et que le train s’ébranla. Je ressentis un choc. C’était au milieu du souterrain. Comme si quelqu’un m’avait tapé sur l’épaule. C’était sa queue. Longue et plate, je ne le savais pas.

-

Qu’est-ce que c’est que ce truc l� ? m’exclamais-je.

Deux yeux bleus brillaient dans l’ombre suintante. Ils me regardaient comme dans la flaque d’eau. De surprise, je reculais et lâchais ma valise. Mais le regard était bon ; je m’approchais. Dans l’obscurité, ma pupille s’arrondissait en une pleine lune qui réfléchissait la moindre lumière. Une tête était tournée vers moi. Je ne savais que faire. C’est d’ailleurs lui qui parla le premier :

- Tu marches sur ma queue !

Sa voix était profonde et flûtée.

- Oh, pardon ! Je ne l’avais pas vue.

Je retirais mon pied de quelque chose de mou, long, et sur lequel des vagues ondulaient comme sur le dos du triton de ma fontaine. J’y voyais maintenant parfaitement. L’être devait avoir deux mètres de long, comme moi, mais lui � l’horizontale. Il était de mille couleurs bleues, dans une gamme claire, si bien que j’étais convaincu qu’il devait disparaître aisément dans un ciel d’été. Je n’avais encore jamais vu pareil animal – si c’en était un, car un animal qui parle ! Il continuait :

- Aide-moi, s’il te plaît !

La voix se faisait tendre, suppliante. J’étais dans d’excellentes dispositions. Quelle curieuse rencontre, dans ce couloir où tout se hâte, dans cette voie de passage où nul ne s’arrête ! Quelle curieuse idée d’y trouver refuge ! Il y a bien des lieux hors du temps, des havres où l’on peut relâcher, où l’immobilité de la nature se glisse en nous pour nous soustraire au fleuve qui passe, des lieux où l’on trouve la paix de l’âme. Mais ici, dans cette passerelle jetée entre le train qui file, et les voitures au départ, quelle idée de s’établir !

-

Je ne m’établis pas – reprit l’être – je m’y cache, car j’ai peur !

Il lisait dans mes pensées ! j’étais fasciné. Je me posais une foule de questions. Il n’attendit pas que je les lui adresse, et d’emblée, de sa voix dansante comme sa queue, qui roulait au-dessus d’une longue langue étonnamment coquelicot, il me dit :

- Je viens de la montagne …

J’éprouvais tout de suite un contentement, car j’aurais dit de même, et je sus � une lueur qui brilla dans ses yeux qu’il avait perçu mon sentiment. Nous étions tous les deux sur le même sommet de l’amitié, comme deux alpinistes, pardon deux pyrénéistes, qui se rencontrent l� -haut !

- Je viens de la montagne, où je suis né, et j’ai voulu voir le monde …

Cela devenait banal … un instant, la vieille chanson allemande du petit Hans qui s’en va seul par le vaste monde (« Hänschen Klein / Ging Allein / In die weite Weld hinein … ») égraina ses clarines joyeuses dans mon cerveau. Mais l’autre poursuivait :

- Ce n’est pas que je m’ennuyais l� haut ! C’est même beaucoup plus joli qu’ici, et grand, immense ! Mais c’est le soir, au crépuscule, quand après le souper, je m’enroule au bord du col qui surplombe vos vallées. Oh, tous les yeux qui s’allument dans la nuit ! Quand j’étais tout petit, je croyais que les montagnes étaient entourées de lacs, qui s’allumaient la nuit du reflet des étoiles. Mais maintenant je sais que ce sont des yeux, les yeux de tous mes frères qui s’éveillent. J’étais interloqué :

- Ton papa et ta maman ne t’ont pas dit ?

Il tourna vers moi des yeux en croissant de lune, étonnés :

- Papa, maman qu’est ce que c’est ?

- Tu n’as pas de père ni de mère ?

Devant sa perplexité, je continuais :

- Enfin, d’où sors-tu ? Comment es-tu né ?

Il fut parcouru d’un long frémissement, qui le fit onduler comme une vague depuis la tête jusqu’au bout de la queue. Ce devait être un rire.

- Tu sais, nous autres, les dragons des Pyrénées, nous sommes un peu comme les poissons des lacs de haute montagne.

Et l� , il prit un air savant, qui me fit sourire. Avez-vous déj� vu un dragon bleu donnant une leçon ?

- C’est le vent qui nous apporte ! parfois un aigle, ou un gypaète, par-dessus les hautes cimes et qui nous lâche dans les lacs les plus élevés, surtout le soir ou la nuit.

Et lÃ? , conscient de son importance, il se rengorgea :

- Vois-tu, moi, je sais que je suis un dragon du vent et de la nuit.

L� , une lueur orange s’alluma dans ses yeux, chandelle chancelante sur les hauts sommets ; c’était une interférence.

- C’est peut-être ça que tu appelles « papa » et « maman » ? Mon papa, c’est le vent, et ma maman, la …

- Non, non, ce n’est pas ça ! si le vent t’apporte de loin, c’est peut-être un œuf qu’il emporte ? Tu as bien un père ou une mère qui te ressemble ?

Il hocha de la tête, et sa queue alla battre contre le mur de béton armé avec une telle force qu’il fit trembler le couloir.

- L� , tu m’en demandes trop. C’est possible, si ça te fait plaisir. En tout cas, je ne les ai jamais vus.

- Tu n’as jamais rencontré un autre dragon ?

- Non. C’est d’ailleurs pourquoi je suis descendu de la montagne. Je te l’ai dit : la nuit, il doit y avoir plein de dragons dans cette plaine.

Je n’osais pas le décevoir, s’il avait pris les lumières électriques de notre civilisation pour des yeux de dragon, c’était son affaire, et après tout c’était joli. Un dragon bleu qui, la nuit, du haut des montagnes cligne aux lumières de la plaine, comme s’il parlait � ses frères, cela ne manque pas de poésie. Mon dragon était poète. Cela me plaisait, car nous avions en cela une correspondance. J’étais tout de même étonné que la Poésie fut ressentie par l’animal. Mais mon nouvel ami était-il une bête ? Il fallait absolument que je fasse une communication � l’Académie, dont je voyais déj� le titre : « La Poésie au-del� de l’homme : le cas du Dragon bleu des Pyrénées ». Quel succès en perspective !

Un grondement me ramena � la dimension matérielle. C’était mon propre ventre : j’avais faim. Je lui dit :

Une curieuse lueur s’alluma dans ses yeux. Il bredouilla :

- heu : de tout, tout ce qui passe … (il ne croyait pas si bien dire).

- Veux-tu venir au café d’en face ?

C’était une phrase coutumière. Mais je pensais subitement que l’idée n’était pas très bonne. Quelle serait la réaction des gens ? Ne valait-il pas mieux être discret ? Et je fus satisfait qu’il me répondit :

- heu, non, je préfère t’attendre. D’ailleurs, j’ai tout mon temps.

- Et bien – lui dis-je – � tout � l’heure, moi il faut que j’aille manger.

Je repris ma valise, m’avançait vers l’échappée de lumière. Avant de poser mon pied sur la première marche de l’escalier, je me retournais, et jetais un coup d’œil dans le corridor. Le dragon était rentré dans son coin, dans la pénombre, il était invisible. Un endroit rêvé pour un guet-apens. J’allais m’asseoir au café des Glycines. Une curiosité amusa mon œil. Un arbre, un platane, avait poussé dans la propriété voisine. Il était enchâssé dans le mur, et l’on voyait bien que le mur avait été construit autour de l’arbre. Voil� un propriétaire curieux, que j’aurais bien aimé féliciter, de pousser � ce point l’amour de l’arbre. Mais, mes préoccupations étaient ailleurs. Je pensais autant que je mangeais. Je n’avais certes pas rêvé. Croiser ainsi l’aventure dans un couloir souterrain de la SNCF, c’était singulier. Mais j’ai depuis longtemps le sentiment que la pensée poétique jette sous nos pas des hasards extraordinaires traversant notre vie avec des yeux d’outre-monde qui nous observent et nous happent. Est-ce d’ailleurs le hasard ? En tout cas, je décidais de suivre le fil de l’aventure. Je réglais mon sandwich et mon café en jetant sur la table des pièces jaunes qu’un rayon de soleil alluma, et fit luire comme si je les avais jetées au fond d’une vasque d’eau. Le regard humide du serveur s’illumina de même � la vue du pourboire. Je m’arrêtai un instant près de la méduse de la gare, pour réfléchir un peu � ce que j’allais faire. Sur le quai d’en face, un gros monsieur � pantalon de rhubarbe venait de sauter d’un train régional. Il commençait � descendre l’escalier qui menait au corridor. Le train était reparti. Derrière, une usine de sel avait égratigné la montagne. Le front de taille était si abrupt, qu’on aurait dit qu’un monstre gigantesque avait dévoré la pierre, laissant celle-ci marquée de l’empreinte forte de ses dents. L’endroit où j’étais me plaçait dans une perspective qui me faisait voir cette colline tel un trait fin sur le ciel. Sur sa crête, quelques maigres arbustes s’effilochaient dans le ciel, � l’instar de cheveux fous. Quelques installations métalliques oxydées par le sel achevaient de teinter ce tableau d’ocre-rouge aux résonances d’abandon. Le paysage m’occupait ainsi, quand tout � coup, je sentis qu’il y avait quelque chose d’anormal. Je mis un instant � le définir. Puis, l’idée me vint. Le gros monsieur était bien descendu dans l’escalier, dans l’intention évidente de sortir du côté de la gare. D’ailleurs, s’il était remonté sur le quai d’en face, je l’aurai vu, puisque j’avais le regard de ce côté. Mais, étrangement, il n’était pas réapparu. Il n’y avait pas d’autre sortie. C’était bizarre. Peut-être s’était-il attardé ? Pour quel motif ? Je descendais l’escalier, m’attendant � le croiser. Mais personne. En bas, � travers le couloir sombre, personne ! J’allais au bout, et par esprit cartésien montais l’escalier, arrivais sur l’autre quai, toujours personne ! Ça alors, le quai était désert ! Je redescendis et traversais le corridor perplexe. En passant près de l’endroit où était le dragon bleu, celui-ci me héla d’une voix encombrée :

- Tu es de retour ?

J’acquiesçais et le regardais. Ses yeux brillaient d’une lueur curieuse. Je sentis battre fortement mon cœur quand sous une patte de mon nouvel ami, je vis un chapeau. L’idée fit irruption dans mon cerveau avec le jaillissement d’une artère tranchée. Non ! Qu’avait-il fait du gros monsieur. Il ne l’aurait tout de même pas … ?

- C’était si tentant ! me dit-il avec des yeux câlins. Et puis, tu sais, je n’avais rien mangé depuis deux jours .. Ma conscience hurla :

- Mais c’est interdit, ça ne se fait pas !

Il était interloqué, surpris. Mais il comprenait très vite. Il devint penaud, et sa longue queue crénelée s’agitait. Je pris un air courroucé, pour lui dire :

- Promets moi que tu ne recommenceras plus !

- Promis ! fit-il en me regardant fixement, tout en achevant de se lécher les babines.

Je n’avais aucune expérience avec les dragons bleus. Je ne savais pas s’il allait tenir parole, avec un pareil appétit. Mais j’avais l’intuition que moi, il ne me mangerait pas.

- Bien sûr me fit-il, je n’ai pas beaucoup d’amis, tu sais ; alors il serait désolant de les manger. Et puis, toi, ce n’est pas pareil !

J’osais lui passer la main sur la tête, comme on fait pour un chat ou un chien. Ce fut quand même avec une certaine hésitation, tenant � la fois au fait qu’il avait de belles dents, et ensuite, parce que je ne savais pas vraiment si c’était un animal, et si ça lui ferait plaisir.

Il eut toutefois l’air content de la caresse. Il se mit � onduler de tout son corps, et c’est tout juste s’il ne ronronna pas. Il était charmant.

Il n’en restait pas moins que la situation était embarrassante. Heureusement, les quais étaient déserts, et personne n’avait remarqué le gros monsieur. Je suis par ailleurs bon citoyen, mais je n’avais pas l’intention de dénoncer mon ami pour deux raisons : d’abord parce que les amis ont droit � notre solidarité ; ensuite, accessoirement, parce que le code pénal ne réprime pas les infractions commises par les animaux, puisque ceux-ci ne sont pas sujets de droit. Me méfiant par ailleurs du génie des avocats, je préférais soustraire � ceux-ci l’examen de la question : un dragon bleu est-il un animal ? De toute manière, il valait mieux différer la question, et sans doute prendre le large. Rester ici n’avait aucun sens, et pouvait être dangereux, car il y aurait forcément une enquête. Il fallait s’en aller. Ce n’était pas si simple : comment sortir d’une gare avec un dragon, sans être vu ? Je jugeais cette démarche impossible. Seule solution : attendre que la nuit tombe. Heureusement, la soirée était déj� avancée, et nous n’attendîmes pas longtemps. C’est � pas feutrés que nous remontâmes l’escalier ; je dus réfréner mon ami, car je m’aperçus qu’en dépit de sa longue taille, il était fort agile. Sortant du milieu confiné où il se trouvait, il huma l’air frais avec l’appétence des gouffres en été, quand leur gueule béante avale l’espace pour l’escamoter dans les étroitures abyssales. Charles – c’est ainsi que j’avais décidé de l’appeler, en raison d’une vieille réminiscence sur une relation entre l’Empereur Charlemagne et le pays des dragons, la Chine – humait l’air comme on distille sur la voûte palatine – du palais – les fragrances d’un Château St Esthèphe. Il devait avoir un flair exceptionnel.

Je le fis s’étendre � l’arrière de ma voiture, et je démarrai. Il était étonné, non pas de la vitesse – car dans son vol, je sus plus tard qu’il allait très vite -, mais des pattes curieuses de cette bête (les pneus de la voiture). Il n’avait jamais vu ça. Nous roulâmes dans la nuit, sur une route de campagne. Une voiture venait � notre rencontre, dont les phares dansaient en trottinant de conserve. C’est alors qu’il s’exclama :

- lÃ? , des yeux !

Je compris � l’instant. La voiture nous dépassa. Il reprit, étonné :

- Qu’est ce que c’était ?

Je n’osais penser, de peur qu’il lise mes sentiments. Mais je ne pus m’empêcher d’éprouver une sorte de compassion. L� -haut, dans les sommets, si séparés du monde, il avait vu les lumières de la plaine, et les avait peuplées d’âmes. Oserais-je lui avouer la technicité de notre existence, et la fumée de son rêve ? Non, ce n’était surtout pas � moi qu’il fallait confier cette mission d’assassin des rêves. Se baigner dans l’irréel, le propre de l’homme, voil� qui distrait de l’esprit étroit des boutiquiers en tous genres, non que la boutique ne soit pas nécessaire, mais l’imaginaire, bien plus beau, l’est plus encore. Or, mon dragon bleu rêvait. Comment l’aider ? Il était tellement occupé � suivre des yeux le ballet des lucioles rouges de la voiture, qu’il n’avait pas écouté mes pensées. Je bredouillais :

- je ne sais pas …

Il ne s’attarda pas � ce point, et dieu merci, aucune voiture ne fit son apparition sur la route. J’arrivais dans la vieille ferme cistercienne que mes aïeux habitent depuis des siècles, car décidément, le hasard faisait bien les choses. La vieille grille tourna de contentement sur ses gonds en me voyant rentrer, chuintant un salut qui me fait éternellement chaud au cœur. Les phares de ma voiture balayèrent les pavés. La lumière accrochait � chaque goutte de pluie un émail coloré ; si bien que, devant le vieux mur trempé de la sueur des convers, c\'était une sorte de vitrail mouvant qui filtrait des fenêtres romanes pour habiller ma cour d’une tenue d’apparat. Nous descendîmes et je le conduisis � la grande salle. Le froid s’y était installé, et j’allumai dans l’âtre un feu de chêne et d’érable. Quand la flamme claire jaillit, haute, fine et dansante, comme une danseuse de tango, je me tournai vers Charles ; il me regardait d’un air amusé. Ses yeux pétillaient aux flammes.

- Tu sais, si tu voulais du feu, avec tes petits bâtons � flammes … moi j’ai mieux.

C’est vrai que je n’y avais pas pensé. Un dragon … Mais, bon, je n’avais pas cette habitude l� . On n’a pas toujours l’esprit pratique. Je mis la table pour moi ; lui était rassasié. Son repas l’avait comblé. Tant mieux, je n’avais pas l’intention de lui en procurer un autre. Après tout, le protée souterrain est lui aussi une sorte de petit dragon, et il est capable de vivre des mois sans manger. Peut-être Charles aussi, si on ne le soumettait pas � la tentation. J’en profitais pour lui poser quelques questions.

Je sus d’abord comment il était arrivé � la gare. Tout simplement � tire d’aile. Plus précisément, un soir, sur sa montagne, fasciné par le chapelet des lumières qui clignotaient dans la plaine, il avait enfin pris la décision d’aller dans l’en-deç� , c’est-� -dire chez nous, en bas. Je devinais, par une perception curieuse, sans doute propre aux poètes, que la motivation de l’esthétique, du contraste entre l’ombre et la clarté n’était pas l’unique raison de son envol, pas plus que la curiosité. Mais il l’ignorait lui-même. J’attendais l’improbable. Mais je n’avais pas � m’accrocher � la frange étroite de la rationalité comme un parapet au dessus de ce qui sort de l’ordinaire, et que l’on nomme, trop pompeusement, l’extraordinaire. La seule différence entre lui et moi, c’est que moi je le savais, mais lui en était la manifestation vivante sans en avoir conscience, puisque la conscience ne naît que du franchissement des frontières, et lui n\'avait pas encore perçu la rationalité de ma condition. Il s’était donc envolé vers ces yeux qu’il appelait de son âme naïve, belle. Il planait au-dessus des vallées, humant ces odeurs nouvelles, et ne sachant où se poser tant les escarbilles de nos villages palpitent en nombre dans l’ombre. C’est ainsi, qu’� force d’hésitation, il sortit de notre vallée pour déboucher sur la plaine � 23 h 11. C’était l’heure du train Pau-Toulouse. Il ne savait pas ce qu’était un train. Tout ce qu’il vit, de haut, ce fut d’abord les yeux de la locomotive, puis toute la longueur du corps qui brillait de pastilles. Au contraire des maisons, ce corps se déplaçait, se tordait, ondulait. Pour lui, cela ne faisait aucun doute : c’était bien un dragon, un dragon de plaine. Alors, il avait obliqué, et était allé � sa rencontre, en perdant de l’altitude. Il s’était bientôt trouvé en face, � une vingtaine de mètres au-dessus. C’était la première fois qu’il voyait un de ses congénères. Il ne savait pas comment s’y prendre. Il n’eut d’ailleurs pas le temps. Le train passa sous lui � toute vitesse. Charles n’eut que le réflexe de s’y poser. Il replia ses ailes, et avec ses griffes il s’agrippa sur le dos d’un wagon. L� , plaqué par la vitesse, il attendit. La gare était proche, le train ralentit, puis s’arrêta. Des bêtes curieuses, de toutes les couleurs, en sortirent, pour être aspirées par un trou. Quand le train redémarra, Charles, qui s’était décontracté, fut jeté � terre, et roula dans l’escalier. Il était meurtri, ne comprenait pas ce qui se passait, et par un réflexe propre � la nature sauvage, et aussi � la civilisation apeurée, il se cacha dans un recoin du corridor. Il y passa toute la nuit, et c’est le lendemain après-midi que je l’y avais trouvé. Personne ne l’avait remarqué ; la hâte rend aveugle. Il me parla aussi avec gentillesse de son existence, l� -haut. Il était heureux. Il le croyait. Où est la différence ? Il aimait l’eau, les lacs d’altitude, les torrents. J’appris ainsi qu’un dragon des Pyrénées vit le plus souvent dans l’eau, c’est-� -dire vu sa taille, dans les lacs. Je ne m’étonne plus du monstre du Loch Ness. Le dragon est en fait un être amphibie ; tout comme le protée souterrain, il peut vivre des mois dans un milieu aquatique. Il me raconta aussi qu’étant petit, il était sorti pour la première fois dans le monde. C’était au printemps. Les premières anémones, les premières renoncules éclataient sur le haut plateau qui bordait son lac. Elles étaient belles, extraordinairement fines et gracieuses parmi ces masses immenses de roche et de neige. Elles étaient fragiles, frêles, et leurs corolles blanches étalaient au soleil leurs étamines d’or. Mais elles n’étaient jamais aussi belles que la nuit. L� , dans la pâleur diffuse du reflet des étoiles réfracté par la neige et la glace, sur ce vaste plateau ceint des hautes crêtes, dans la solitude minérale de l’altitude, dans le froid qui mord d’une indifférence cruelle, insensible au sang chaud qui bat, la diaspora des anémones éparpillées dans les trouées de fétuque naissante, étale la modestie de ses dentelles ouvertes vers le ciel nocturne, dans une correspondance muette et silencieuse. Le monde de la nuit palpite au long des corolles. J’imaginais mon petit dragon bleu, seul, l� -haut, dans ce paysage ensorcelé de l’ivresse de l’esthétique. Quel tableau ! Combien de nuits avait-il ainsi passées, � s’asseoir au bord du monde ? Il me raconta ainsi toute l’alchimie de sa condition, et il n’en finissait pas. Manifestement, cette bête vivait la nuit. Moi pas. Devant tant d’enthousiasme � conter, je fus long � me décider � rompre. Mais le sommeil rompit pour moi. Je fis des rêves étranges. Je rêvais que j’étais moi-même un dragon bleu. Que je plongeais du haut des cimes vers un lac, en soulevant une immense gerbe d’eau qui retombait sur le plateau en formant une énorme marguerite émeraude dont le lac était le centre. Je rêvais aussi qu’une file de gros messieurs verts dansaient autour du lac, d’une sarabande provocante ; qu’une foule de dragons multicolores surgissaient du fond du lac pour ouvrir la gueule et happer ce festin, aussitôt remplacé par une nouvelle friandise. Moi, j’essayais de taper sur les têtes de ces monstres, et de leur expliquer que ce n’était pas bien. Mais je n’arrivais pas � arrêter ce manège. C’était horrible.

Le lendemain me vit toutefois reposé. Je descendis dans la grande salle. Près de la cheminée, Charles dormait encore. Curieusement, il était devenu orange, comme un caméléon. Le feu était passé en lui. Est-ce donc l� le secret des dragons ? La braise de l’énorme bûche était froide, bleue. Transmutation. Il ne tarda pas � se réveiller, tournant vers moi de grands yeux de lac améthystes, qui m’embrasèrent le cœur. C’était vraiment un ami. Il se quilla sur ses pattes, secoua sa longue échine, et me dit :

- J’ai bien dormi !

En s’éveillant, il refroidissait � vue d’œil, et reprenait sa belle couleur bleu pâle. C’était un joli spectacle que de suivre la progression de ce changement, la dilution des oranges dans l’améthyste puis le lapis-lazuli ; de voir le ballet de ces frontières colorées qui se fondaient. Je ne sais pourquoi, mais j’avais l’impression d’être assis au bord de l’étang aux nymphéas du grand peintre Claude Monet. La danse des lumières changeantes qu’il y voyait, trouées de l’écarlate ou de la neige des grandes fleurs sur le parterre bleuté de l’eau, ne devait pas être bien éloignée du spectacle auquel j’assistais.

Charles me dit en frétillant :

- Aujourd’hui, que fait-on ?

Je pensais qu’il valait mieux ne pas trop se montrer. Néanmoins, je n’entendais pas renoncer � l’un de mes exercices favoris : la spéléologie. D’ailleurs, le peu de notions que je possédais sur les dragons n’allait-il pas en ce sens ? Les dragons ne vivent-ils pas aussi dans les grottes ? Charles ouvrit des yeux étonnés. Il avait saisi ma pensée mais n’en comprenait pas très bien le sens. Je lui expliquais. Il me dit qu’il ne savait pas ce qu’était une grotte. J’en fus tout autant étonné : décidément, il allait falloir, du point de vue scientifique, faire une communication � l’Académie des Sciences, pour révision de connaissances erronées, et aussi � l’Académie Française.

Il sauta � l’arrière de ma voiture, et nous partîmes dans une de mes grottes favorites, « la grotte du dragon », que j’avais choisie non seulement pour son nom mais dans un espoir secret.

Quand nous arrivâmes au bord du grand porche, qui marque la frontière avec un autre monde, Charles, � son habitude, huma l’air si caractéristique des grottes. Il était tout excité. Visiblement l’aventure le tentait. Je mettai mon casque, allumai l’acétylène ; le gaz fusa, une flamme gloussante se mit � danser. Charles la regarda avec amusement. Je m’apprêtai � charger le sac assez lourd qui comprenait les cordes, échelles, et divers maillons et mousquetons, quand il me dit :

- Cela a l’air lourd pour toi. Mets-le sur mon dos !

Ce fut chose facile, et j’accrochais les sangles sur sa crête dorsale. Quelle commodité pour progresser ensuite ! Que ce dragon avait l’esprit pratique ! j’étais enchanté.

Comme toutes les sorties souterraines, raconter notre aventure nécessiterait un livre, tant chaque instant est au carrefour de l’inattendu. Les ténèbres n’effrayèrent pas du tout Charles, et j’eus la confirmation que c’était un animal de nuit : il y voyait suffisamment, sans qu’il y eût de clarté en raison de l’absence de la lune et des étoiles ou de rayonnement cosmique. Il s’amusa énormément � sauter les crevasses. Il n’avait aucun problème pour franchir les pires étroitures ou chatières, son corps effilé s’infiltrant partout. Pour le puits, il dédaigna mes cordes, je le vis déployer ses ailes et voleter bruyamment. Il était même capable de faire du surplace, comme une libellule. C’était pour moi un peu révoltant, car l’homme se mesurant � l’obstacle (St Exupéry), le spéléologue prend du plaisir � triompher des difficultés, comme l’alpiniste. Lui, n’en rencontrait aucune, il s’amusait ! C’était un dragon joueur. Il s’émerveilla bien sûr des paysages souterrains, des perspectives que les ténèbres absolues remplissent de mystère, du contraste entre l’ombre et l’immaculée blancheur des fistuleuses.

Mais la rencontre que j’escomptais ne se produisit pas. Etait-ce la fin du rêve ? Pris par le jeu et la passion, nous sortîmes tard. Dans la galerie d’accès, on voyait au loin l’arc du porche. Les ténèbres souterraines s’y confondaient avec la nuit et se pigmentaient d’étoiles qui brillaient avec la fixité minérale des cristaux souterrains. La frontière semblait abolie. L’air froid de la nuit nous cingla le visage. Nous redescendîmes dans la grande hêtraie, façon de dire, car Charles voletait dans le vide qui bordait le chemin. En bas, les lampions des villages d’altitude s’allumaient comme une guirlande de champignons phosphorescents.

De retour � la ferme abbatiale, j’allumais la radio, et tout en ravivant le feu, j’écoutais. La disparition du monsieur vert avait été découverte, et les enquêteurs situaient sa disparition dans la gare, sans autre précision. Toutefois, il était indiqué que l’on avait trouvé de curieuses empreintes dans un recoin du corridor, que des prélèvements avaient été faits, et que devant la difficulté d’identification, le laboratoire d’analyse génétique de la police avait été saisi. Je souris � cette dernière remarque, car j’imaginais la problématique qui allait être soulevée par les spécialistes consultés. Ne pouvant imaginer la vérité, peu croyable, ils seraient devant une énigme puissante : � quel être curieux appartenaient les prélèvements ? En fait, je pensais être devant l’hypothèse du crime parfait, non seulement par la disparition de la victime (qui ne reviendrait jamais), mais par la quasi impossibilité d’identifier l’assassin. Ce dernier, le pauvre, était � mille lieux de se douter de l’affaire, n’ayant aucune conscience d’avoir mal fait. Au demeurant, les dragons des Pyrénées connaissent-ils l’opposition du bien et du mal ? Le philosophe F. Niestzche n’a-t-il pas écrit « Par del� le bien et le mal » en pensant aux hautes cimes (Aus hohe Bergen).

La soirée fut donc paisible. Charles lapa la soupe aux légumes, il était omnivore, Dieu merci. Les voûtes romanes de la grande salle, qui avaient vu passer tant de gens éclairés de la lumière intérieure du Seigneur, réfléchissaient une clarté paisible autour de nous, comme une mère enserre dans ses bras son enfant. Notre conversation roula � nouveau sur les hauteurs – ou les profondeurs, ce qui revient au même – sinon de l’esprit, du moins des sommets. Charles était un convive attachant par la diversité de ses connaissances pratiques de la haute montagne, depuis l’abîme des lacs jusqu’aux crêtes élevées irisées des rayons nocturnes. Il avait développé aussi, de façon quasi inconsciente, une sorte de philosophie de l’existence, basée sur la contemplation de la beauté des formes, des couleurs, des sons, des parfums et des adresses secrètes lancées par le monde. Je comprenais bien que c’était en partie le même souci qui l’avait conduit � aller voir les éclats scintillants des plaines dans la nuit. Mais ce n’était pas tout.

La seconde nuit fut paisible, enchanteresse.

Au second matin, quand je descendis, Charles n’était pas au coin du feu. Je cherchais partout, dans la grande salle, la cour intérieure, la cave immense, l’ancien dortoir, et bien d’autres lieux, il était introuvable. En désespoir de cause, je m’assis pour petit-déjeuner, et j’allumai la radio. La disparition du monsieur n’avait pas encore trouvé de solution, ce qui ne m’étonnait pas. Par contre aucune nouvelle extraordinaire d’un dragon que l’on aurait surpris quelque part. Qu’était-il donc devenu ? Je redoutais qu’il ait été encore attiré par les feux de quelque machine, blessé, ou pire. Mais, bon, pour l’instant, puisqu’on n’en parlait pas � la radio, c’était bon signe. Je revenais dans la grotte, dans l’espoir secret qu’il y soit. Les voûtes obscures restèrent muettes � mon appel. Je ressentais l’absence de l’ami, moi qui ait mené bien des explorations en solitaire. C’est avec une certaine mélancolie que je ressortais de ce havre

On était en automne et les feuilles tombaient, au rythme lent des jours qui passent dans l’abandon du temps. Cela devait faire près de dix jours déj� . Je me faisais � l’idée que j’allais reprendre le train. Ce matin-l� , je descendais de ma chambre.

Quelle ne fut pas ma joie quand près du feu, je reconnus mon dragon bleu. Charles était de retour ! Il me salua chaleureusement, avec une fierté inaccoutumée. Il y avait � côté de lui quelque chose d’autre. Ce n’était pas du tout de la même couleur. C’était vert, vert pâle, couleur d’eau pâle. Cela leva la tête vers moi, une tête en tout point comparable � celle de Charles, sauf qu’elle avait quelque chose de plus doux encore. C’était un autre dragon, et je sentis immédiatement qu’il était de sexe opposé. Je lui donnais immédiatement le nom d’Opaline.

C’était donc pour elle que Charles était parti ! Et moi qui n’avais pas deviné ! alors que depuis le début, j’en avais le pressentiment, et que j’avais espéré que les profondeurs souterraines m’en livrent le secret. Mais non, la peur qu’il lui arrive malheur l’avait emporté.

D’où diable venait-elle ? Du fond d’un lac, aussi ? Elle opina de la tête, et me dit même son nom : le lac Noir, dans les Vosges. Une Alsacienne ? La lignée bleue des dragons était apparemment présente dans les Pyrénées, alors qu’Opaline était verte. Je ne jugeais pas utile d’approfondir ce point. Mais où l’avait-il rencontrée ? Ce que j’entendis alors, conté par sa voix encore plus flûtée, ne me surprit guère, tant c’était la copie conforme de l’aventure de Charles. Elle aussi contemplait la plaine d’Alsace le soir. Une nuit, elle avait pris son essor et avait volé jusqu’� la cathédrale de Strasbourg, où quelques gargouilles l’avaient attirée. Elle n’était pas aussi naïve que Charles, et avait vite compris que les lumières de la plaine ne vivaient pas. Alors, un autre soir, elle était allée loin, très loin, elle était arrivée � une cathédrale immense, � Notre-Dame de Paris. L� , elle avait passé un jour entier cachée au faîte d’une tour. Puis, la nuit, elle avait visité Paris. Le métro l’avait intriguée. Elle y était entrée. Dans un couloir, une rame l’avait effleurée, la blessant superficiellement. Effrayée, elle s’était réfugiée dans un des nombreux recoins du métro. Personne ne l’avait vue, tant finalement, la propension � se cacher des dragons est forte, la nature étant ici bien faite. De l� , elle avait émis des cris de détresse, par instinct, sans avoir connu quiconque de son espèce encore. Malgré l’incroyable distance, ces ondes avaient atteint Charles. Intrigué et ému, il était tout de suite parti. Il avait fini par la trouver, puis, au terme d’un long périple, l’avait ramenée ici. Leur instinct les conduisait.

J’étais ravi de cette aventure, ils l’étaient aussi. Ils restèrent quelques jours avec moi. Vint le moment du retour. Ils décidèrent de partager leur vie entre les lacs.

***

Pendant des années, j’ai gravi les sommets dans les Pyrénées centrales. Souvent, je suis allé m’asseoir au bord du lac au milieu des anémones et des renoncules endimanchées du printemps. Toujours, par une sorte de prescience, le soir, ils sortaient tous les deux du lac pour lisser leurs écailles aux rayons de lune, en partageant avec moi l’amitié des haute cimes. Parfois même, j’ai vaincu mon sommeil pour arpenter avec eux la paix palpable des hauts plateaux isolés.

C’est l� , un soir, que je les ai vus contempler longuement une constellation. C’est l� que j’ai eu la dernière explication. Pourquoi chaque jeune dragon sort-il du lac sans avoir connu ses parents ?

C’est qu’il y a l� haut, une planète, NGC 336789, qui les fascine plus que tout au monde. Sitôt qu’ils ont ensemencé les berges des lacs d’altitude, ils prennent leur envol. Et ils savent � l’avance, car leur pouvoir de communication est finalement universel, que tous les dragons de la terre – et même ceux des autres mondes – s’y rejoignent pour s’y donner la main. C’est une planète rouge-orangé-bleu-vert émeraude.

Si un jour, vous voyez sur le ciel nocturne deux silhouettes étranges, fines et élancées, qui plongent dans les étoiles, ne vous en étonnez pas, vous savez qui c’est. Quant � moi, je suis revenu bien des fois encore, auprès du lac. J’y ai retrouvé un jour un jeune dragon bleu, qui, dès qu’il m’a vu pour la première fois, m’a adopté pour Père. J’ai essayé de le détromper, en pure perte. Konrad Lorentz a ici raison.

C’était le début d’une nouvelle amitié.

Mais l’automne est passé et les feuilles sous l’arbre sont emportées par le vent. En dépit d’une longue habitude, pour la première et la dernière fois, c’est moi qui vais devoir le quitter.

Ce soir, sur la planète rouge-orangé-bleu-vert émeraude, parmi tous mes amis, le ciel. De l� , mon Dieu, que ta planète bleue est jolie !


9 juillet 2001, Acca, accident de chasse, Affouage, Arbre, Association syndicale, Avocat environnement, Bandite, bois, Bois communaux, Boisement, Bourdaine, Champignon, chasse, Chasse en forêt, Chemin d’exploitation, Chemin rural, Chêne truffier, Chute d’arbre, Chute de branches, Code forestier, Coupe abusive, Coupe extraordinaire, CRPF, Débardage, Débroussaillage, Débroussaillement, défrichement, dégâts de gibier, Droit de chasse, droit forestier, eaux et forêts, Engref, Entrepreneur forestier, espace boisé, Expert forestier, Expertise agricole, Exploitation forestière, Forestier, forêt communale, Forêt de protection, Forêts, glycines, Groupement forestier, incendie forestier, Inventaire forestier, L. 130-1, Mayotte, Monichon, Morts-bois, Parc forestier, peupleraie, peuplier, Plan de zone sensible, Plan simple de gestion, Poésie, Processionnaire, régime forestier, Sérot, Soumission au régime forestier, Vent violent, Voirie départementale.