L'ECORCHE
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L’Ecorché
Ambroise venait d’inciser le corps.
C’était un trait fin, comme au fusain, dans une chair froide qui ne vivait plus. Une petite ligne sur une vie ancienne qui ne battait plus de la chaleur rouge du sang. C’était un trait sur une vie.
La chair était couleur de lune pâle ; elle ne réagissait pas.
Un boucher qui taille sa viande, aurait pu penser Ambroise. Mais il n’était pas novice, et sa pensée flottait bien au-del? du corps, émaillée du sang du Christ. Aussi la pointe du scalpel fouillait aussi le creux de son âme. Et si le démon de la connaissance ne l’avait pas poussé, il n’aurait jamais suivi cette voie.
Oh, ce n’était pas chose facile. Non que les gibets ne poussassent comme des herbes folles après la pluie. Mais il fallait faire attention ? la Sainte Eglise, et devancer la concurrence des corbeaux freux impatients de curer les orbites.
Ambroise était pour les temps de demain un être de lumière. Pour l’heure, c’était un homme de la nuit, qui allait décrocher ses patients sous la lune muette, ? la lueur d’un falot pâle et jaune. Sa charrette était néanmoins célèbre ; beaucoup se reculaient et se signaient ? son passage. L’ombre gagnait même les esprits. Pour l’heur, c’était un homme de trente ans que l’on avait pendu. On n’en savait pas plus, et cela importait peu ? tous. Seuls dans la cité, un père, une mère, une femme, ou des enfants, sans doute pleuraient encore, cachant l’orchidée noire du malheur qui poussait en leur cœur. Le bon peuple de Paris allait ? son indifférence, après s’être diverti du spectacle, sauf les âmes compatissantes, dont on se moquait facilement.
Ainsi va le malheur des uns et la bonne heure des autres, qui se côtoient intimement comme l’herbe des champs, le bon grain et l’ivraie, écrasés l’un et l’autre sous la roue du pouvoir et du temps.
Qui a jamais compté les pâquerettes mortes, et quel poète même en a porté le deuil ?
Ci donc, voil? notre pendu, dépendu, mis ? plat, couché, étalé, écarté, entaillé pour l’honneur de la Science. Ambroise n’était point seul, il avait ses disciples, attentifs, fidèles.
L’entaille était longue et sèche et le discours aussi. Il fallu peler l’arbre, ou presque. On tranchera dans l’exposé en disant qu’on fit un écorché, un être sans écorce et sans peau, sauf la tête et certaines parties.
La leçon fleurissait ; les plumets du savoir s’envolaient de la bouche du maître pour retomber dans les consciences ouvertes, et plus tard y germer. C’était une leçon de choses, sur un être pelé, et bref, sur une chose.
On était en hiver, la nuit était venue sans prévenir, comme ? son habitude - la mort aussi faisait de même, mais sans calendrier ; la nuit a l’élégance de descendre avec une certaine habitude, mais la mort surprend et vole -. Le discours s’achevait, et bien que les passions fussent vives, il fallait rompre. Ambroise suspendit son grand tablier blanc, maculé ; un disciple lui versa de l’eau froide sur les mains que le maître essuya longuement avec la méticulosité qu’il mettait ? tous ses gestes. Puis, il reconduisit ses disciples et amis, ? la porte de sa demeure. Chaque invité mit sa cape fourrée, prit son lumignon, et sortit dans la ruelle où il pleuvait. La pluie était froide et le pavé luisait dans les flammes jaunes des lumières qui tremblaient.
Ambroise monta l’escalier d’orme roux et alla se coucher ? l’étage, sans tarder. Il avait le lendemain matin un cours ? la faculté ; on l’attendait avec la ferveur des initiés. Il avança dans la caverne du sommeil, franchissant le pas incertain de la lumière ? l’ombre, et s’endormit rapidement. En bas, l’écorché sur la table.
Il gisait l? , gris. Sa chair avait pris cette teinte. Elle était dure et cassante. La plaie du chirurgien, mollement refermée (car il comptait poursuivre le lendemain ; il y a des choses qui n’attendent pas, et un cadavre en est une, sa fraîcheur passe, plus vite que la vie), faisait un sillon étrange ? sa surface. Elle accrochait un rayon de lune qui pailletait sa lèvre violacée de petites fleurs pâles comme dans un baiser de l’autre monde.
Les étagères de marbre qui bordaient la pièce luisaient immobiles. Sur elles, les instruments de fer blanc attendaient. Tout était figé. La maison silencieuse.
***
Ce furent d’abord des fourmis ; comme si c’était des fourmis, c’est-? -dire des fourmillements. Au bout des doigts, de la main droite. D’ailleurs, celle-ci était anormalement froide, raide. Et puis l’autre main aussi, engourdie. Un frémissement courait ? fleur de chair, venu d’un intérieur qui battait ? nouveau ? Comme s’il avait longuement hésité ? soulever son poids, l’avant-bras et la main se levèrent au-dessus de la table. Instinctivement, et d’un mouvement souple et doux, la main effleura la plaie, tandis qu’un pli d’étonnement et de surprise entaillait le visage. Non, il n’y avait pas de douleur, et c’en était curieux. Un sentiment, oui, un sentiment, mais étrange : la perception d’être, après avoir été. Le retour improbable, mais pourtant bien réel puisque les doigts bougeaient. Alors les yeux s’ouvrirent, comme des portes d’ailleurs, d’un gris de la profondeur d’un puits au fond duquel nulle constellation ne se reflétait, d’une nuit sans lueurs. Ce fut d’ailleurs celle de la clarté céleste entrant par une haute fenêtre, qui fit tourner la tête de l’écorché. Du regard, il parcourut ce qui l’environnait : des tables de marbre, de curieuses lames, des pinces, des coupelles et des pots aux noms inconnus.
L’homme allait de surprise en surprise : que faisait-il donc l? ? Et puis son dos meurtri. Il s’aperçut qu’on l’avait placé sur une table dure, sans le moindre ménagement, sans la moindre étoffe, sur la pierre. Un frisson le parcourut ; il eut soudainement froid. Il s’appuya sur le coude, plaça les jambes dans le vide, puis se laissa glisser. Il y voyait curieusement bien dans l’ombre, comme s’il revenait d’un univers obscur où ce sens avait été longuement exercé. Dans un coin, derrière un tablier blanc, était suspendue une pelisse de loutre, avec capuche. L’écorché la saisit de ses bras frêles, et s’en vêtit. Il n’avait pas l’habitude de pareils vêtements, et un léger sourire ondoya sur ses lèvres exsangues qui ne se contractaient pas encore dans cette courbe si plaisante aux êtres vifs.
C’est au moment de fermer le manteau qu’il vit sa plaie. C’était une balafre impressionnante, longue de dix pouces, mais propre. Toutefois, elle était profonde et atteignait les organes. Du fait de la position debout, et des mouvements de torsion engendrés par la marche, ceux-ci commençaient ? sortir. Il plaça une main dessus, en cherchant quelque chose pour les retenir. Il se saisit d’une large toile de lin blanche, et se l’enroula autour du corps, comme le font certains marchands d’ail. Rassuré par ce geste, il regarda devant lui calmement ; la porte de la salle laissait entrevoir un couloir lambrissé, qu’il ne connaissait pas. Que le diable l’emporte ! que faisait-il ici ? Sans qu’il le sache, la mort avait violemment effacé de son esprit une période de temps, jusqu’? son arrestation. Si bien qu’il avait perdu son identité de mort, et précédemment celle de coupable, ou plutôt de pendable. D’ailleurs, s’il avait eu un miroir, il aurait vu au ras de son cou le collier noir, la trace que la corde avait durement creusée dans sa chair, marque irréfragable de sa qualité de pendu. Mais son regard ne pouvait y porter, et son attention était ailleurs.
Revenait ? son esprit comme un raz-de-marée d’images, de plus en plus précises, qui s’entrechoquaient dans le tumulte des émotions qu’elles portaient. C’était un fleuve qui brusquement tombait, cascadait aux creux de sa conscience, l’éclaboussant de souvenirs anciens. Petit ? petit, le puzzle prenait forme. Et soudainement, comme en une trombe d’eau qui jaillit en plein front de taille, son nom lui revint : François des Ormeaux. Puis le flux cessa, et sa tête lui fit mal. Une douleur comme un fer que l’on enfonce ? force, qui évoquait la mise en perce d’un foudre. Il s’adossa contre le mur ; son dos toujours souffrait. L? aussi, il aurait pu voir les traces du fouet : il avait été fouetté avant qu’on ne le pende, châtiment habituel en ces temps, expiatoire.
Il s’avança dans le couloir. Tout était silencieux. D’un côté la porte fermée par deux barres tirées de l’intérieur. Il dirigea ses pas vers elle ; il était poussé ? sortir par une force qui l’attirait. Alors, il souleva les barres, la porte s’ouvrit sur la nuit noire, et la pluie. Au milieu de la ruelle, dans la rigole, un ruisseau s’écoulait en clapotant.
L’air froid de la nuit lui fouetta le visage ; il couvrit sa tête de la capuche. Dehors aussi c’était le silence. La rue était déserte. Où aller ? il ne savait pas où il était, ne reconnaissait pas les lieux. Il ferma précautionneusement la porte pour qu’on ne dérange pas son hôte de hasard, et prit le côté descendant. Il allait pieds nus, mais ne sentait rien. Sa respiration, qui n’aurait pas fait vibrer une soie d’araignée, ne provoquait aucun nuage de condensation. Il ne s’en étonna pas. Il ne possédait pas totalement son corps, certaines parties demeurant insensibles ; et cela valait mieux pour lui.
Au loin, une rumeur clapotait ; c’était la Seine. Quand il s’engagea sur le pont, d’autres passants vinrent ? sa rencontre, mais ne lui prêtèrent aucune attention. En bas, l’eau noire luisait sous la lune. Il savait inconsciemment où il allait.
Quand il approcha, il sentit en lui comme un étau. C’était une angoisse sourde, comme s’il avait encore ? craindre quelque chose, où plutôt comme si une ancienne peur remontait le cours de ses veines, charriant des images terribles qui précipitaient sa conscience. On aurait dit que les lieux, cette levée de terre ? l’herbe curieusement grasse, étaient imprégnés d’une terreur qui voulait l’habiter. Il ne pouvait pas s’en arracher, comme attiré, fasciné.
Soudain, il reconnut l’endroit. Il était parvenu ? Montfaucon. Devant lui se dressait le gibet. La vue d’un pendu, l? , devant, lui dérida sa pensée qui, tout ? coup, comme l’oriflamme au vent se déroula.
Il se vit plongé dans des scènes violentes. En même temps, son corps s’agitait de soubresauts, semblait se battre. Deux hommes d’armes l’entraînaient, le hissaient en lui donnant des coups. Il montait sur le tréteau, au dessus de la trappe, et on serra la forte boucle de la corde dans sa nuque. A cet instant de la vision, l’écorché passa instinctivement la main autour de son cou ; il palpa le creux du sillon, comme s’il voulait élargir la boucle pour respirer ; et il sut alors que tout était vrai.
Le prévôt fit un geste ; la trappe s’ouvrit, et la langue de l’homme sortit démesurément de sa bouche, en une fort vilaine grimace, comme s’il quittait ce monde par une moquerie macabre ? l’égard de ceux qui le rejetaient. Le corps trembla comme un poisson en bout de ligne, puis le calme de la mort l’envahit. Ce fut alors un état nouveau. Ce n’était pas rien, non. C’était l? , et au-del? . C’était au del? du naturel, certes, mais aussi l? , car l’écorché vit le soir tomber ; non pas avec ses yeux, mais le soir tombait et il le savait. Comment dire ? Il ne percevait plus avec son corps, mais il voyait ; c’était tout. Il vit les corbeaux freux qui se perchaient sur le gibet, et voletaient, de pendu en pendu, allant se poser sur la tête, serrant entre les griffes les cheveux morts et se contournant pour becqueter les yeux, cette friandise. Ce n’est pas qu’il avait peur des oiseaux ; il n’était pas accessible au sentiment. Mais il n’était pas non plus indifférent. Il avait une sorte de répulsion froide, comme s’il avait jeté ? l’autre bout du monde : “ allez-vous en ”.
Il eut simplement de la chance, on l’avait pendu tard, et la nuit tomba vite. Alors les corbeaux s’envolèrent en coassant, en direction de Notre-Dame où ils nichaient. Les bonnes gens y voyaient parfois l’âme des pendus qui s’envolait vers la Rédemption.
Tout cela, l’écorché le vivait.
Les fruits du gibet pendaient ; au pied, un bouquet d’immortelles blanches accueillaient les âmes errantes qui venaient l? en nombre, invisibles. Puis, le temps coula comme du sable, et le murmure sombre de la Seine venait s’échouer l? .
Ce fut alors ce bruit, interrompu, de cahots en cahots. Cette lumière jaune qu’un homme sombre portait ? bout de bras, précédant sa carriole. Dans la nuit, bien des gens louches surgissaient ? Paris ; par ailleurs, ce n’était pas quelqu’un du guet. Son visage trahissait pourtant une certaine inquiétude ; mais il ne portait ni balafre, ni barbe dure ou longue. Son port, ses yeux donnait l’impression d’une certaine autorité. Sans plus savoir, l’écorché eut confiance. L’homme n’était pas seul, et tout le monde évoluait en silence, en parlant bas ; deux firent le guet, pendant que deux autres montaient sur le gibet en regardant les pendus.
- non, celui-l? est déj? trop passé ;
- celui-ci a été entamé par les oiseaux.
On arriva enfin ? l’écorché. L’accord se fit. On siffla ; l’un de ceux qui faisait le guet arriva, adossa l’échelle, et coupa la corde, pendant que deux autres soutenaient le corps dans sa chute. Puis on descendit le pendu en bas du tertre, et on le mit dans la carriole ; on le couvrit.
L’écorché vit tout cela. Il ne s’opposa en rien ; d’ailleurs, il ne le pouvait plus, mais il y avait en lui un consentement ; il avait confiance. Quel aurait été, d’ailleurs, son destin sur le gibet ? Demain, dès l’aube, les corbeaux seraient revenus. Quelques jours après, ce qui serait resté de son cadavre aurait été jeté dans la fosse commune, ou brûlé. La mâle mort (mauvaise mort) n’était pas enviable. Pour tout dire, l’action présente était providentielle. N’était-il pas d’ailleurs revenu l? ? Et puis, ce fut le trou : bercé par le cahot, il s’endormit. Ou par un étrange phénomène, son âme, sa conscience immortelle s’était attardée sur le gibet. Le souvenir était éteint par la pluie de l’inconscience. Il s’était réveillé le lendemain sur la table.
Maintenant, il était l? , les bras ballants sous la pelisse. Il avait revécu son drame ; son corps avait repris sa conscience, ou son âme.
C’est alors qu’il entendit un murmure monter. Ce n’était pas la Seine de la nuit, c’était des plaintes douces, de ceux qui pendaient l? . Il y en avait vingt-neuf, car ? ce moment de l’année, la justice était plus dure qu’? l’ordinaire. Il y en avait une qui le suppliait de dépendre le corps. Cela avait été une femme, qui sans doute jadis avait été jolie, et qui prenait en pitié ce corps qu’elle avait chéri. Elle demandait une sépulture. Deux ou trois autres voix se firent entendre, qui avaient la même requête. Une autre s’éleva pour protester de la matérialité de ces demandes, et que de l? où elles étaient, le corps, sans doute, importait peu (elles allaient le savoir bientôt). Mais d’autres firent chorus aux premières. Il y avait une certaine peur qui filtrait, sourde, lourde, et presque matérielle. Et cela était incessant, comme les vagues sur la grève.
Ce flot s’empara de l’âme de l’écorché. Ce fut comme si une brume de pitié pénétrait sa peau grise. Il se mit ? la tâche ; descendit une petite rue, trouva une charrette attelée. Le cheval frémit un instant ? sa caresse, puis il obéit. Revenu au gibet, il avisa une hâche, et commença ? couper les cordes. Curieusement, les corps ne pesaient rien. On aurait dit que les âmes les avaient rejoints, et leur conféraient l’immatérialité. Aussi, ce fut sans peine que l’écorché descendit un ? un les pendus, et les plaça dans la charrette.
Il en était ? son vingtième corps, quand un homme arriva. C’était un arbalétrier du guet qui faisait une ronde. Sur son plastron de cuir brillait l’écusson de la Cité. De loin, le soldat vit la scène. Il pressa le pas et apostropha l’homme.
- Et toi, manant, ne sais-tu pas ce qu’il en coûte de toucher ? la gibaille ?
A ce moment, l’écorché leva la tête. Son visage restait encore dans l’ombre. Le soldat s’approchait.
- Par la St Jean ! Quelle drôle de besogne fais-tu l? , l’ami ? Veux-tu donc rejoindre ceux que tu décroches ? Alors, l’écorché, sans rien dire, abaissa sa capuche. Son visage gris pâle apparu, au fond duquel les yeux creux semblaient morts.
La Grande Mort n’aurait pas eu plus d’effets. Le soldat fut frappé de stupeur. Instinctivement il recula, se signa, et murmura d’une voix brusquement éteinte, simple filet sans teinte glissant dans l’air froid.
- Par la Sainte-Croix, je n’ai jamais rien vu de tel ! Et pourtant, ? la St Barthélémy, il fallait avoir les tripes bien accrochées. Par l’Enfer, tu es le diable ! Alors, l’homme pivota, et descendit la ruelle en courant, aussi vite que le lui permettait son armement.
L’écorché se remit ? son labeur. Il ne lui en restait plus beaucoup. Quand il eut fini, il ne pris même pas la peine de couvrir la charrette. Il s’installa devant, et d’une voix douce commanda le cheval.
Les rares passants qui, ? cette heure tardive, arpentaient le pavé, virent ce spectacle d’une charrette couverte de morts tirée par un cheval blanc. Beaucoup ne s’en étonnèrent pas. C’était l’usage d’évacuer les morts la nuit. Mais ce qui frappa certains, plus observateurs, c’était le conducteur. Un espèce de grand diable, osseux, aux mouvements lents et calmes, et qui ne maniait pas le fouet. Quant ? la couleur de la peau, certains se dirent que le clair de lune pouvait faire grisailler bien des visages. Peu sentirent l’anormalité du spectacle, en se signant au passage des morts conduits par l’un d’entre eux sous la main morte de l’après vie.
L’écorché atteignit sans encombre le cimetière St Jacques, sur laquelle veillait une grande croix de pierre dentelée par les reflets de lune. L? , il avisa une fosse commune, et l’un après l’autre, y déposa les morts. Une onde lumineuse de la croix, qui mouilla le sol de la lueur d’un vitrail, vint apporter une bénédiction, et ce fut ? cet instant précis que le murmure des âmes s’éteignit. Tout revint au silence. L’écorché reprit sa charrette, sortit du cimetière et parvint dans la ruelle où il avait trouvé son véhicule. Il flatta l’encolure du cheval qui hennit doucement, puis s’en alla vers le gibet.
Celui-ci était calme. Pour la première fois depuis sa construction, il était vide. L’écorché s’agenouilla en contrebas, et se recueillit dans le Maître suprême. Une voix lui commanda de couper trois immortelles. De son vivant, François n’avait pas été sensible ? la beauté des fleurs, ayant surtout bourlingué sur un vaisseau de la Royale. Mais il obéit, sans discuter, et ce fut avec un bouquet de trois fleurs blanches qu’il quitta le lieu. Il remit sa capuche. Il bruinait.
Il descendit vers la Seine. La nuit commençait ? pâlir. Il fallait faire vite. C’est alors qu’au détour d’une rue, une silhouette vint ? sa rencontre. C’était une femme qui portait un bouquet d’hellébores fleuris. Quand elle vit la silhouette, la femme ralentit, de peur sans doute, ? cette heure qui quitte la nuit pour s’acheminer vers l’aube. L’écorché eut comme une pointe au cœur et hâta le pas. La femme au contraire, brusquement s’arrêta. Quand l’homme passa ? sa proximité, un faible rayon de lumière entachait son visage. La femme poussa alors un cri, en l’attrapant par la manche, et en disant d’une voix faible :
- François ? Est-ce toi ? est-ce possible ?
A ce moment, la capuche tomba.
La femme poussa un cri, et s’agenouilla.
L’écorché lui prit la main.
- Marie ! Ne répète jamais ce que tu as vu l? . Tu m’entends, jamais ! Tu pourrais être brûlée vive !
Alors, la femme, d’une voix suppliante :
- Dis-moi, François, je te vois, c’est bien toi. Je t’ai vu pendre, c’était horrible. Et j’allais déposer un bouquet sous ton corps, avant que la garde n’arrive. Mais toi, toi, comment es-tu l? ?
Elle ouvrait les yeux comme une hallucinée, et sa voix se brisa dans un sanglot.
L’écorché s’agenouilla près d’elle. Il ne voulait pas l’embrasser, car il se faisait peur, face ? cette chair vive et rose. Etait-ce la pluie ? Une larme roula sur son visage et tomba sur les mains réunies. Il dit :
- Marie, le temps presse pour moi. Tu m’as vu mort en effet, et je suis l? . Je n’en ai plus pour longtemps. Ma conscience se brouille. Mais il fallait que je m’éveille, pour cette nuit ; il le fallait.
Et l? , sa voix se fit plus douce encore :
- sache simplement que je ne fais qu’obéir ? notre Maître ? tous. Tout est donc bien. Pour le reste, tiens !
Il déposa alors un baiser sur son bouquet d’immortelles, et le donna ? sa femme. Celle-ci lui tendit le bouquet d’hellébores, et d’un grand mouvement atrocément mêlé d’amour et de souffrance voulut l’embrasser. Mais l’écorché se recula.
- Non, non, je suis déj? trop loin.
Dans un dernier adieu, il lui serra fortement les mains. Elle sentit le froid glacial de ce contact. Alors, il s’en alla, vite, presque en courant, comme un voleur d’amour.
Il était déj? ? la limite d’une portée de voix, quand il se retourna en criant :
- Paré, Ambroise Paré, Maître Ambroise ! tu te souviendras ?
Maître Ambroise s’éveilla moins tôt qu’il ne l’aurait voulu. C’était un matinal, et la fièvre, la passion de la recherche remplaçait le réveil-matin, qu’au demeurant on n’avait pas encore inventé. Il en fut quelque peu surpris. Mais “ bah ! ” fit-il en se rasant la barbe avec un scalpel particulièrement affûté et d’une main experte, “ une fois n’est pas coutume ! ”.
Il descendit le grand escalier d’orme d’un pas joyeux, et traversa le couloir. Il ne remarqua pas que si les deux barres de la porte étaient en place, elle n’étaient pas exactement au même endroit par rapport au chambranle. Mais il n’avait aucun motif pour pousser cette investigation.
Par habitude, il rentra dans la salle de chirurgie. Tout était bien en ordre, tout était ? la place où on l’avait laissé la veille. L’écorché était l? , étendu sur la table, d’une pâleur mortelle. Oui, oui, tout était bien en place.
- Par Esculape ! jeta le maître, en contournant la table, qu’est-ce cela ?
Il aurait juré hier que la main gauche était ouverte. Et la rigidité cadavérique s’opposait ? ce qu’il en soit autrement le lendemain ! Or, cette main était fermée.
Un double trait de stupéfaction barra son front, quand en s’approchant, il vit que la main serrait un petit bouquet. Il se pencha :
- “ Hélléborus Niger, ou Rose de Noël ” commanda son cerveau d’érudit. “ Ça alors, qui me fait cette mauvaise farce ” ?
Il réfléchit un instant. Il vivait seul. La porte était fermée. Nul ne pouvait entrer par les fenêtres garnies de barres de fer. Hier après midi, il avait reçu tous ses élèves, et ils étaient tous sortis. Il fit bien le décompte, et par méfiance, fit le tour de ses pièces. Quand il revint, il dut se rendre ? l’évidence. Il n’y avait pas d’explication. A moins que, le bouquet ? il s’approcha de l’écorché, se pencha vers la main, et se mit en besogne de desserrer les doigts. Il l’avait déj? fait maintes fois.
Mais l? , un triple trait barra son front. Pas moyen de desserrer cette main. On aurait dit qu’elle s’accrochait au bouquet comme si elle y était rivée. Alors, Maître Ambroise se recula. C’était un cartésien d’avant le Discours. Mais l? , l? ! Une heure après, ? la Faculté, il fit sa conférence, en précisant les dernières avancées qu’il avait obtenues la veille. Quand il expliqua la façon de pratiquer la première entaille, sa voix hésita un court instant, et il s’entendit expliquer que celle qu’il avait exécutée la veille avait été mal faite. L’auditoire fut stupéfait, même ses collègues savaient qu’il ne se trompait guère. Passant au del? de la surprise, il ajouta qu’il prendrait un nouveau corps pour faire une démonstration parfaite cette fois-ci. L’après-midi, il allait faire enlever le corps, quand une dame se présenta chez lui. Elle se faisait petite comme une souris, mais sa voix humble avait une certaine fermeté.
- Monsieur le Professeur Ambroise Paré ? Il paraît que vous avez chez vous un homme ? Puis-je le voir ? Ambroise fut surpris de la question, et se demanda s’il ne s’agissait pas ? nouveau d’une querelle religieuse. Mais sa méfiance céda ? un autre sentiment, sur lequel il ne mettait aucun nom. Il laissa entrer la femme et la conduisit ? la salle.
La dame eut un imperceptible tremblement quand elle vit l’écorché. La souffrance avait tellement buriné cette pauvre femme, qu’elle lui avait ôté la première écorce de la sensibilité – c’était ? sa façon une écorchée. Il ne lui restait qu’une âme fermée sur son malheur : il lui en fallait beaucoup pour laisser transparaître un sentiment, un pleur.
Toutefois, si frêle que fut l’indice, Ambroise le perçut, et il hasarda :
- Vous le connaissiez ? La femme demeura de marbre. Elle demanda d’une voix blanche :
- puis-je le faire emporter pour lui donner sépulture chrétienne ? Paré n’hésita pas. C’était son intention. De plus, il avait l’intuition profonde que cette femme y avait plus de droits que lui. Alors, il donna son accord. Et il ne raconta ? personne ce qu’il vit.
Quand quelques temps après, deux hommes vinrent avec la femme chercher le corps, la femme prit la main de l’écorché ; elle n’eut aucune peine ? l’ouvrir et ? en retirer le bouquet, sur lequel elle posa un baiser. D’ailleurs, s’il l’avait raconté ? la faculté, personne ne l’aurait cru ; c’était contraire au principe de rigidité cadavérique.
***
Il n’était pas le seul ? être surpris. Quand le même matin, le Prévôt de Paris arriva au gibet, il laissa échapper un juron sacrilège, que nul ne voulut entendre. C’était bien la première fois dans sa carrière qu’il voyait un gibet sans pendus ? Paris. Heureusement, il y avait de nombreuses affaires en cours ; on n’allait pas tarder ? offrir un spectacle prisé par la populace et ? regarnir le gibet. Monté sur un cheval pommelé, il tourna toutefois bride avec grand mécontentement. Bien sûr, il ne prêta aucune attention au massif d’immortelles blanches. Seule, l’après-midi, une jeune fille qui passait par l? pour ramasser un brin de corde (cela porte bonheur), s’amusa ? compter les fleurs, un peu comme on effeuille la marguerite. Elle arriva au chiffre trente. Trente ? Cela n’avait aucun sens.
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