CHARLES ET L'IRMENSUL
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Charles et l’Irmensul
Charles rêve sur son siège. L’Empire est vaste, maintenant. Sa carte oscille sur le mur empierré au gré des lumières qui sourdent par le vitrail, et filtrent en une poussière d’émail sur le sol. Lourdeur, force, puissance.
Dans l’ombre de ce matin naissant, les flambeaux compagnons de la nuit crépitent de leurs dernières trouées. Dans l’âtre, l’énorme bûche est cendre grise. Le froid. Charles se serre dans sa fourrure d’ours. L� -bas, la fenêtre comme lui se blottit dans l’épaisse muraille pour échapper au vent glacial qui mord dehors de mille petites dents de givre bleu.
Son regard d’eau quitte le jeu des marches et des comtés qui ondulent sur les dalles ; il se lève et va vers la fenêtre. Courbe arquée de l’ogive ; douceur. Chaleur. Combien de morts pendant ces guerres ? Qu’importe ! L’épée a son langage et le sang chaud fume en volutes sur la terre dans les champs de bataille d’hiver, parmi les mottes de terre écartelées du givre, incantations aux au-del� . Qu’y faire ? L’âcre odeur de la mort fait partie de la vie.
Celle de Charles éclabousse l’Europe.
La religion : le socle de l’Empire. Le baiser du christ au Monde. La foi grave le marbre des Palais, les champs de blé solaire, et les sombres forêts germaniques. Mais l’anneau sacré n’empêche pas. Les femmes. Charles a ses concubines, toutes aussi belles que ses yeux les voient. Et ses yeux rêvent toujours � d’autres marches, � d’autres femmes ; son cœur se baigne � la courbe tendre des regards échangés et des formes encloses. Puissance, amour : deux pierres, deux lapis-lazuli qui se fondent et confondent, et que l’Empereur tourne en ses mains, comme un Dieu qui joue et s’amuse de son pouvoir, mêlé du remords, de la crainte et de l’espérance chrétienne. Ces mêmes mains qui plongent l’épée dans les poitrines, qui courent fiévreusement sur le corps feutré, clair et chaud des dames allongées ; et qui jointes, prient. Ces mains, pures et impures, baptisées du sang des victoires, de la chair amante, et de la chapelle du remords.
L’amour, la mort ; composées presque avec les mêmes lettres. Alchimie du verbe, retournée - le creux, retourné, saillit.
Charles se lève, ouvre un carreau. Un souffle frais frôle son menton glabre. Le jour s’est fait. Sous la mosaïque des feuillages pâles, les renoncules en deniers d’or. La rivière scintille, long collier sur la gorge fraîche de la vallée. Songes clairs du matin neuf.
***
Charles avait renversé l’Irmensul. Mais si son corps avait brûlé, l’esprit flottait encore dans les bois � la recherche de sa vengeance. Un long brouillard peuplé de plaintes. Il n’avait plus la force, et par toutes les divinités de l’Autre Monde, comment lutter contre l’Empereur des Francs ? Longtemps il avait erré. Un soir, près d’un épicéa où il s’était assis, les femmes en dentelle de mousses lui avait donné la clef qu’il recherchait. Si la mort ne pouvait frapper Charles, son reflet dans le miroir inverse, l’Amour, lui, le pouvait. L’Amour jusqu’� la possession, la malédiction, la destruction, la mort. Juste retour � l’inversion.
L’idée était plaisante, merveilleuse. Un sourire plissa son visage de mille rides, écorce de pin tannée d’hivers creusant les lisières de givre aiguillé. Il avait repris sa route maudite.
Dans une tribu saxonne, de ce peuple que Charles avait haï, une femme. Elle avait un corps d’épi de blé, blond et mur, ferme et doux, des yeux de lac enlacé du reflet des clairières aux sapins verts, et un souffle d’avril aux anémones. L’esprit s’était jeté sur elle, et en avait pris possession par un enchantement dont il était coutumier depuis la nuit des âges. Puis il avait conduit ses pas hors de la forêt, en direction d’Aix-la-Chapelle. En franchissant le Rhin, il avait plongé sa main dans l’onde, puisé un anneau scellé d’un sortilège, et le lui avait passé au doigt. Le pacte était lié.
***
Elle avançait l� -bas, au-del� du carreau dans le parc. Charles la vit. Et ses yeux parlèrent pour son âme et sa langue. Elle était alors fine comme un souffle. Sa chevelure ondoyait comme la courbe du ruisseau, et d’elle émanait une force étrange qui bouleversait le paysage.
L’onde arriva sur Charles, et s’y confondit. C’est � peine si le reliquaire des cheveux de la Vierge que l’Empereur portait au cou, eut le temps d’agir ; le mal était déj� l� .
Son cœur se serra d’une émotion qu’il connaissait bien. Un filtre creusait son sang, qui battait d’une mer intérieure sous le soleil d’une orchidée noire. La puissance de dix ouragans, ou d’une armée en marche ; la bannière qui flotte devant son peuple et l’entraîne irrésistiblement.
Charles ajusta sa fibule d’argent sur l’épaule. Il lissa ses moustaches d’un geste accentué. Il descendit les escaliers du Palais, s’avança dans le parc.
Elle alla � sa rencontre malgré elle, car l’Esprit la dirigeait. Ils étaient deux vaisseaux venant de mers lointaines, mais qui allaient � l’autre, liés d’une chaîne invisible ; l’Empereur était aussi prisonnier de la belle qu’elle l’était de lui. Quand ils furent � quelques pas, Charles lui tendit les bras. Elle y alla sans réserve ; cela faisait mille ans qu’ils s’attendaient. Il respira son odeur, qui était � la fois douce et forte. Douce, du parfum des primevères, du regard de la mère ou des soirs d’automne sur la lande aux bruyères mauves. Forte, car la forêt germanique et les hauts promontoires du Rhin flottaient dans ses cheveux ; odeurs étranges, peuplées de résines violettes et de fleurs des neiges.
Elle éprouva de lui le surprenant parfum des Francs, que leurs femmes gardaient jalousement dans des fioles au long col. L’odeur de sa forte émotion se libérait, faite des longues courses � travers les espaces de l’Empire, les forêts de sapins coupées de champs de blés aux coquelicots chantant, l’horizon clair sur lequel passent les armées envoûtées, les boucliers de fer vibrant d’éclats d’argent, le son amer de l’olifan, mais aussi cette odeur d’encre que les doigts de Charles portaient nuit et jour pour sa passion de l’écriture. Toutes ces particules faisaient autour de lui un monde olfactif qui peignait ses hantises.
Quand toutes ces odeurs les eurent pénétrés, confondus, ils s’embrassèrent, étroitement.
Sur l’aubépine blanche un bouvreuil pivoine étalait sa dentelle de plumes en tournant vers eux un œil rond indiscret.
En relâchant l’étreinte, Charles se mira alors dans ces yeux, profonds, lac ou ciel, il ne savait, mais ils étaient comme une immensité tendre. Cela lui plût au del� du possible. Elle, se baigna nue dans ce regard tranquille qui se faisait aimant, chaud, flamme d’amour, pierre calcaire au grain fin comme une peau.
Autour d’eux les arbres : une cathédrale de printemps en alcôve, dans une sorte d’enluminure chatoyante.
Ils rentrèrent au Palais. Autour d’eux, tout s’accorda. Les caprices de l’Empereur étaient connus et mal s’en serait pris qui lui aurait fait reproche.
La Germaine aima donc le Franc et prit place croissante. Il n’était de conseil que Charles ne prenait auprès d’elle. Il tint � lui apprendre lui-même ce qu’il savait de l’écriture ; et on les vit tous deux semer leur rire sous les voûtes arrondies � l’occasion de la dictée.
Sous son écorce frêle, elle était rude. Le bourgeon de l’églantine est au chaud sous la glace. Charles le comprit vite. Il lui apprit � monter � cheval, le maniement de l’arc, le vol de l’épervier et bien d’autres choses. Elle devint son compagnon, chose extraordinaire, mais que seul le secret de l’Irmensul permettait.
Un an passa. Certains la surnommaient « l’Impératrice ». Leurs ombres s’étaient confondues.
Mais un soir de décembre, alors que le couple rêvait au miroir du feu, que les flammes s’enlaçaient dans l’âtre et jetaient sur les longues nattes d’or tressées de l’épouse des reflets d’ambre roux, elle se mit � tousser.
On n’y prêta pas attention. Mais ce fut comme un flot. Un flot de sève qui s’épanchait, jour après jour, une résine blanche et odorante. Les médecins de l’Empereur n’y comprirent rien. L’Evêque du Palais, Turpin, lui y vit plus clair, mais le sortilège de l’Irmensul était trop bien fermé dans la chair de la belle saxone. Charles était fou d’inquiétude, l’anneau maudit commençait � l’étreindre. Tantôt il était auprès d’elle, comme un volcan qui jaillit d’un fjord, bouillant de son impuissance. Elle était l� , qui se vidait, lentement ; il lui prenait la main, l’embrassant, caressant ses longs cheveux. Tantôt, il parcourait le Palais, accomplissant les fonctions de l’Empire, mais recevant aussi les émissaires et tant de produits, qui ne produisirent aucun effet. Que peut même la magie du lointain Orient contre les malédictions germaniques ? Un soir de froid � l’abandon plus qu’aucun autre soir, l’hiver glaça les yeux de la femme d’une pâleur de neige, sur laquelle coulèrent les dernières larmes de la vie, les larmes de l’amour, la nacre de la mort.
Ce regard l� était insoutenable. Charles détourna la tête. Les comtes virent alors le fier Empereur, qui avait conquis tant de terres au del� des frontières, s’asseoir dans la haute chaise cathèdre et le visage dans les mains, doucement, pleurer.
Il pleurait, lui ! Ses cheveux de blé pâli par les étés ondulaient de spasmes contenus, comme le vent et la pluie plissent les champs de vagues profondes. Ses doigts puissants s’arc-boutaient comme la chapelle d’Aix, pour soutenir la tête de l’Empire.
Le silence. Un monument qui tremble et que personne n’ose approcher. Autour, la haie des comtes, des compagnons , et le plus vieux des serviteurs, le Sénéchal, qui lui, sait que Charles ne restera pas longtemps immobile. Dans le cours des instants, il ne se trompe pas, mais plus bas, qui aurait pu prédire ? En effet. Charles se lève, animé d’un regard terrible. D’un geste, il prend sa longue épée qui l� heurte l’instant présent : « Joyeuse ». Il raffermit son cœur en lissant de ses doigts le fer rude plongé dans le corps des Saxons. Puis il rabat les pans de son manteau, et marche d’un pas jeune et ferme dans le long couloir pavé. On le suit. Il sort. De la haute salle, � travers les carreaux on le voit qui arpente le parc, frappant l’air de Joyeuse tout autour de lui, comme � l’exercice. Il fait cela longtemps, pour s’épuiser. Puis il s’agenouille, joint les mains ; il prie, tête inclinée, le regard en extase. Une fine bruine tombe, ruisselle sur ses cheveux, et les pleurs de la pluie sillonnent son visage. Communion.
Comme � l’accoutumée, sa prière est longue. Le crépuscule lui a jeté une chape de froid sur l’épaule, qui darde de fines pointes � travers le cuir, le lin, la peau.
Soudain, il tressaille. Le Connétable, sorti des écuries, inquiet pour l’homme que beaucoup aiment, le rappelle � la vie matérielle.
Charles hoche la tête. Un songe s’échappe, monte � l’orme alentour.
- oui, fit-il, simplement, en secouant sa chevelure pénétrée de pluie ; vague qui éclate en paillettes sur un récif.
Il se lève et retourne � l’énorme muraille du Palais. Mais plus il s’en approche, plus le sortilège le prend. Son cœur se serre. Il n’ose pas entrer dans la grande salle, où gît la morte, et va tristement sur sa couche solitaire.
Le lendemain, il réunit les plus fidèles de ses proches, et leur parle. Il ne veut se séparer de la morte. Quand il ordonne qu’elle soit couchée sur le lit bas, on s’en étonne, mais l’on n’ose arguer de la putréfaction des corps, comptant d’ailleurs sur ce phénomène physique pour que l’Empereur se rende � raison.
Mais la raison semble avoir fui la tête de l’Empire. Charles délaisse les affaires courantes, et s’en va au chevet de la morte. Il y passe de longues heures, agenouillé dans un profond recueillement. Est-ce un effet de ses prières ? mais la morte fleurit : un certain incarnat apparaît, et sa chair embaume l’épine blanche.
On crierait presque au miracle. Charles perçoit le début d’une méfiance : sorcellerie ? Alors, pour déjouer toute emprise sur le corps qu’il chérit, il donne l’ordre aux plus fidèles de ses serviteurs de porter la saxone dans une crypte connue jusque l� de lui seul.
C’est l� qu’il va la voir tous les jours. A l’ombre de la crypte, il pose son chandelier, et � la lumière tranquille de la flamme, s’agenouille et prie, jetant de temps � autre un regard sur la femme étendue l� , échangeant avec elle d’invraisemblables pensées et même quelques phrases.
Prodige : en dépit du sable qui coule inlassablement au creux du sablier, la morte ne change pas. Mais Charles, lui, a changé. On dirait qu’il n’a plus d’autres soucis. Il délaisse les charges. Les comtes s’en étonnent, quand revient la saison des campagnes armées. Lui qui préparait ardemment ses expéditions, les faisant précéder de journées de prières, ne s’en occupe plus. On ne reconnaît plus l’Empereur. Il est possédé.
L’abandon permanent de la morte lui a buriné l’âme. Il ne pleure pas, mais le chagrin de la séparation a sillonné sa pensée de profondes ravines qui, tous les jours s’approfondissent, comme une montagne � vif sous la pluie.
L’Irmensul referme son piège de cruauté, et dans l’été qui s’annonce, rajeunit de plaisir. La force de Charles et celle de la morte passent graduellement en lui. Mais cela ne peut continuer. L’évêque Turpin, surtout lui, qui se mêle des affaires temporelles, s’en inquiète. Il remarque que les cheveux de Charles se poudrent de neige, et que son regard d’acier se colore des reflets ternes des marais enlisés du Rhin.
Charles, jusqu’ici a caché son jeu. Personne ne sait que la morte est encore au Palais, et que Charles va la voir. Mais Turpin veille. Un soir où l’Empereur descend � la crypte, il se poste derrière une colonne, voit Charles appuyer sur une pierre et rentrer dans un passage inconnu. Le mur se referme derrière lui. Alors Turpin attend. Il écoute, aucun bruit ne parvient. Vers minuit, le passage s’ouvre, Charles en sort, remonte, son flambeau taillant l’ombre accumulée sous la voûte. L’évêque s’avance, appuie sur la pierre. Il rentre dans une crypte éclairée par des cierges.
L� dans l’angle, il voit avec stupéfaction et sainte horreur la morte. Elle est comme � ses plus beaux jours, simplement plongée dans un sommeil éternel. Turpin s’approche et n’en croit pas ses yeux. Il touche. Le corps est chaud. Il retire vivement la main et fait le signe de la croix. Sortilège ! Diablerie ! Cela fait sept mois que ce corps est mort ! il est ensorcelé. N’y a-t-il pas un charme ? Et comment opère celui-ci ? Turpin est un vieil homme. Il a longue expérience. Il s’approche, et du regard scrute. Les pans du vêtement, les longs bras, les mains surtout, la chevelure finement tressée : rien. Alors, il s’enhardit, et � l’aide d’une spatule d’argent, il ouvre la bouche. Toujours rien. Mais sa science le conduit où il faut : il soulève la langue.
Sa pupille se ferme un peu, comme un chat qui tient sa prise. Dessous se trouve un anneau d’or fait de fibres tressées en spirale, et surtout ouvert. Il sourit, car il connaît ce charme, qui tient aux malédictions germaniques ; il l’a su d’un vieux chef saxon, auquel il avait évité l’épée. En veillant � ne pas entrer en contact avec les chairs, sinon la putréfaction s’emparerait de lui vivant, il ôte l’anneau de la bouche, l’essuie, et le met dans sa poche.
Puis, il s’agenouille, prie, et récite la longue prière carolingienne des morts, pour le repos de l’âme libérée. Il quitte la femme sur un nouveau signe de croix, referme proprement le passage.
Le lendemain, le Palais est éveillé par la fureur du désespoir de Charles. Il arpente les salles, doté d’une force inconnue, mêlée d’énergie et de terreur. Il crie fort, comme � son ancienne habitude. On le croit presque fou. Le Sénéchal accourt. Charles lui prend le bras, le tire vers l’escalier, le conduit dans la crypte.
L� dans l’angle, un squelette blanc, presque parfait est couché sur un lit bas. Le Sénéchal, si vieux qu’il soit, ne connaît pas la crypte, et pense d’abord qu’il s’agit d’un mort fort ancien. Mais il est attiré par la robe, qu’il a déj� vu, et les cheveux blonds, tressés, intacts. Soudain, il reconnaît la Germaine, l’épouse, la concubine. Il ne se doute pas que le corps, la veille, était parfait. C’était donc ici que l’Empereur avait fait placer la princesse ? Et bien, pense-t-il, ce n’est pas un mauvais endroit ! En lieu chrétien s’il en est, puisque la chapelle d’Aix est au-dessus. Il n’y a donc rien d’alarmant pour lui. Mais qu’a donc l’Empereur ? Charles, près de la morte, a les yeux errants de la tempête ; le cœur du vaisseau percé par un récif ne saigne pas autant que son âme pleure.
Puis, Il fait murer la crypte. On dirait qu’il s’en détourne, qu’il ne s’y intéresse plus. L’anneau maléfique poursuit son œuvre.
Le lendemain, dans la salle capitulaire, l’Empereur réunit les prélats pour ordonner des messes. Quand il passe devant l’Evêque, une étrange lueur s’allume dans ses yeux. Turpin d’ailleurs le remarque sans trop s’en étonner, mettant cette braise subite sur le compte du chagrin aiguisé par la foi. Il se trompe. Turpin l’habile, Turpin l’avisé, se trompe. En touchant l’anneau, la malédiction de l’Irmensul lui a été transmise. L’être des forêts germaniques passe de corps en corps, dans l’indifférence du sexe.
C’est dans les jours qui suivent que ses yeux se dessillent. Charles l’appelle, Charles le voit, Charles l’entoure. Charles a retrouvé ses yeux d’amour ; dans le creux de ses prunelles un torrent roule ses pépites qui scintillent dans l’ombre. Un soir, au sortir de la messe, il embrasse comme � l’ordinaire, et � genoux, la bague de l’évêque.
Mais mû d’une fièvre subite ses lèvres s’attardent un instant sur la main, comme s’il humait la rose. Turpin aux aguets baisse la tête, croise le regard montant de Charles : de nouveau ces reflets d’or qui brillent ; un parfum d’améthyste irise la pupille des mouvements souples d’un corps qui s’étire en volutes. L’Irmensul, en cet instant précis, a chassé l’Esprit Saint. L’esprit de l’évêque erre loin dans les landes, au del� du Rhin ; il s’étonne des brumes qui l’entourent.
Plus tard, quand dans l’escalier qui descend en torsades Charles le serre de très près, l’évêque s’abandonne. Dans la nuit, les mains grises de l’Irmensul ouvertes en berceau font � l’Empereur et � l’Evêque impérial une alcôve maudite où l’acte est consommé.
Au matin de lumières claires, Turpin s’éveille en premier. La malédiction s’est assoupie, et il reprend ses sens. Il est couché sur la pelure d’ours brun � côté de Charles qui ronfle. Un soubresaut d’horreur le fait jeter du lit. Sans éveiller l’Empereur, il fuit, et ses pieds heurtent le froid mordant du pavé. Il gravit l’escalier qui tourne en la chapelle, et l� , devant la Croix, s’agenouille, heurte du front la dalle. La prière monte en lui, immense, comme une vague qui déborde et va baigner les pieds du Christ en signe d’humble requête. Christ sait. Il n’a rien � pardonner, car il connaît l’Irmensul, ses sortilèges. Il inspire son Evêque.
Celui-ci se relève, et toujours pieds nus, traverse les salles, sort du Palais, marche dans la forêt. Il va jusqu’� un lac inconnu. Ce lac est un mystère qu’aucun chasseur, qu’aucun guerrier n’avait croisé. Au bord, une grande croix d’opale monte dans le ciel puis tombe dans le lac par un reflet qui dessine une courbe, un anneau sacré.
Turpin s’arrête. Il tend le bras, lance l’anneau maudit qui tombe au loin sous l’eau glacée des reflets d’un arc-en-ciel.
L� -bas, dans la forêt brumeuse de l’aube, une plainte résonne, longue, fugitive, diaphane, déchirante, terrible.
A cet instant, Charles s’éveille. Son esprit : un bouton d’aubépines blanches s’ouvre. Un fil de soie flotte. La voile d’un bateau s’enlève dans le ciel.
Charles lace ses chausses, vêt sa tunique, range les tablettes d’écriture qui jonchent le dallage près de sa couche.
Il ne se souvient de rien. La chaîne s’est brisée.
Mais, est-ce un dernier maillon de l’Irmensul, ou le vide d’amour, ou l’appel de l’Esprit qui l’attire au dehors ? Les primevères du parc ont des reflets d’eau pâle, et les herbes du bois sont marquées de ce sceau.
Charles est conduit au bord du lac. La boucle de la croix fait le tour de son cœur, et l’opale s’y déverse tel un onguent sacré.
Il s’agenouille et prie, les mains jointes au ciel, humblement.
Puis, le fier Empereur se lève, s’approche de l’eau, qu’il effleure et caresse de sa main libérée.
Il ne peut savoir ce qui l’attire. Il sent que cette eau l’appelle, le nomme. Il ne sait pourquoi il aime ce lieu, qu’il ne connaissait pas auparavant. A-t-il d’ailleurs besoin d’une cause ? Il l’aime, c’est tout, cela suffit. Cela ne s’explique que par le mystère de l’âme.
C’est l� qu’il fera édifier sa chapelle, celle d’Aix.L’amour, la mort, s’entrecroisent dans une ténébreuse et profonde unité.
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