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L'ERABLE GRIS DU CARREFOUR

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L'ERABLE GRIS DU CARREFOUR

L’érable Gris du carrefour

(Quelques pas au hasard de soi)

Quand Josué parvint au carrefour, en haut de la colline, un vieil érable gris y tourmentait les nuages de ses branches effilées.

Josué avait marché longtemps ; aussi s’arrêta-t-il et s’assit-il sur un rocher moussu, près d’une croix. Là, il tourna les yeux vers l’arbre et le regarda faire.

L’érable ne se troubla pas, et continua sa besogne. Il tendait ses branches en plein ciel ; des nuages s’y accrochaient, comme en écume. Au bord de cet horizon bleu, n’était-ce point l’arbre qui s’abandonnait aux flots ? Ses racines s’ancraient, mais sa tête rêvait.

Et les nuages filaient en barques cotonneuses, longues écharpes floconneuses, bannières de l’arbre au vent.

Josué était un homme sensible. Il lui arrivait même de pleurer. Pleurer de joie ou de douleur, qu’importe ! il pleurait, parfois seul, à la montée intérieure d’un songe, d’une pensée fugace qui débordait son âme, et suffisait à faire pleuvoir en lui.

C’était un homme étrange, qui avait besoin de communier. Mais à un tel degré de compassion, que les autres en concevaient de l’agacement, et que cet être sensible en était conduit à s’isoler. Aussi avait-il marché seul, jusqu\'à ce carrefour, où il allait à sa rencontre.

Ce besoin était tel qu’il montait sur une colline lors des grandes pluies, et que là, il sentait son âme se dilater à l’infini, aux confins des espaces qui s’estompaient là-bas, si loin. Il lui semblait parfois que la nature pleurait avec lui, qu’elle était peuplée d’âmes soeurs, d’esprits fugaces à l’unisson.

D’autres fois, il se découvrait la tête, l’eau ruisselait sur sa peau frêle, il se sentait dilué.

C’était d’abord le sentiment d’une intimité profonde, celle de ces gouttes dont il sentait la course tout contre lui. C’était aussi le sentiment inverse, l’ailleurs, cette multitude qui tombait là bas, qui noyait le paysage, et dans laquelle il lui semblait se fondre, à laquelle il appartenait. C’était alors pour lui d’extraordinaires moments où il existait pleinement, dilaté à l’extrême, où il n’existait plus, ce qui est sans doute la même chose : il n’était plus Un, il était Tout.

Sa pensée théorique ne s’élevait pas encore à ce degré de conceptualisation, mais sa peau et ses tripes profondes en sentaient l’essence, en vivaient l’existence mieux que par des lettres indifférentes et froides dont la rencontre en un mot est bien souvent fortuite, le hasard n’arrangeant pas toujours bien les choses.

C’était en particulier un homme sensible au Beau.

Il lui arrivait de s’extasier devant une couleur, et l’émotion qui lui serrait la gorge montait à ses paupières d’où elle descendait en quelques larmes discrètes qu’il s’efforçait de dissimuler.

Il avait bien entendu dire que certains peintres, comme le grand Van Gogh en étaient au même degré aigu d’émotion devant la beauté du monde, mais comme cette sorte de gens-là ne vole pas par les rues, ils en étaient comme le goéland au milieu des huées.

Ainsi, Josué avait pris l’habitude de porter des lunettes noires, mais un jour où son émotion avait été trop forte, et où ses larmes débordaient, un plaisantin lui avait suggéré de faire mettre des essuie-glaces.

C’était cette émotion qui le reprenait là, alors qu’il était assis sur son rocher moussu.

L’arbre dessinait sa ligne tourmentée à travers le grand ciel, et sa chevelure semblait flotter dans les nuages qui passaient. Sa longue ligne qui s’affinait en montant, pour se perdre et se diluer dans les nuées, semblait une ombre chinoise.

Josué admirait ce tracé. Sans être peintre, il en avait l’œil, qui dans le paysage sans limites découpe et borne un fragment d’espace pour lui donner une vie autonome, et le fait accéder au Beau. Pour lui, l’érable gris, le ciel et les nuages composaient un tableau naturel.

Quand il fut rassasié, lui, son œil et sa pensée, de ce paysage (mais peut-on se lasser de la beauté ?), il essuya une larme au bord de sa paupière qui montait en ressac, et l’émotion reflua.

Alors, la mer de sa raison lui amena une foule de questions comme des vagues sur la plage. Il aurait bien aimer les poser à l’arbre. Mais le silence régnait. L’arbre ne craquait pas, les nuages passaient sans bruit.

Il y avait dans cette absence de son une harmonie de la Nature, et il semblait à Josué que la moindre phrase serait comme un caillou jeté à la surface d’une eau lisse, qui rompt la pureté de son corps immobile.

Il ignorait encore que les ondes concentriques qui allaient naître de ses paroles reviendraient à lui chargées de cadeaux insoupçonnables.

Au fur et à mesure qu’il attendait, le silence devenait lourd, et prenait la coloration d’une pierre.

Il semblait à Josué que jamais il ne pourrait le soulever.

C’est pourtant ce qu’il fit en un instant fugace, quand les mots sortirent de sa bouche.

Alors, le silence parût aussi léger qu’un velours d’araignée que le vent soulève et crève.

Il lui sembla même que sa voix détonnait, comme un coup de mine, comme s’il était emporté par la force d’un flot trop longtemps retenu, et qui jaillit dans un vacarme.

Il cria :

- et toi ! l’Arbre !

L’arbre était-il sourd ? Il n’avait point changé son jeu.

Alors Josué hurla :

- et toi l’Erable gris !

Alors l’arbre joua avec Josué.

Il secoua ses branches des nuages, tourna la tête lentement, à droite et à gauche, comme pour bien s’assurer que c’était à lui que s’adressaient ces mots.

Mais au carrefour, il n’y avait pas d’autre arbre.

Il le savait bien.

C’est ainsi qu’il jouait.

Il dit, d’une voix d’autre part :

- c’est à moi, petit homme, que tu parles ?

Un renard roux passait dans l’herbe.

Josué s’enhardit :

- Oui, c’est à toi que je parle !

Et de l’air de l’enfant qui découvre l’oiseau pour la première fois, il ouvrait de grands yeux.

Aussi grand que le ciel qui s’y baignait. Et l’arbre entier, le ciel, et les nuages, s’y reflétaient dans une douce humidité d’étonnement.

Un œil de faon, baigné de la rosée, à travers le feuillage, au bord du champ de blé, couché par le soleil d’une journée d’été, où l’aubépine pâle attend le crépuscule pour monter aux étoiles ; au cœur de la nuit claire et douce qui bat dans l’ombre, le scarabée bleu pousse inlassablement sa bouse ronde comme jadis au pied des pyramides.

Il reprit :

- que fais-tu donc là ?

Toujours assis sur son rocher moussu, il balançait ses jambes d’excitation.

L’Autre lui répondit :

- Tu le vois ! Je joue !

- Ah ? fit Josué. Cela t’amuse ?

- Et toi, cela ne te plaisait-il pas, quand tu étais enfant, de voir entre tes doigts au bord de la rivière, s’écouler l’eau vive et claire ? Moi, je n’ai pas la chance de pousser près de l’eau, alors je m’amuse avec les flots de nuages qui passent.

Si tu savais comme je les attends ! Il y a parfois des ciels bleus, désespérément bleus, sans aucun nuage.

Comme c’est triste, et comme je m’ennuie alors ! D’autres jours, ils passent si haut, si haut, que seul l’oiseau s’y amuse, et moi je les regarde jouer sans moi. Alors, tu penses bien, un jour comme aujourd’hui, où ils passent à portée de branche, c’est ma fête ! Excuse-moi, il faut que je m’amuse ! Et là, le vieil érable gris se retourna, pour lever ses branches vers les nuages qui le chatouillaient.v

Un autre renard roux comme une poule passa dans l’herbe.

Mais Josué s’obstinait.

Peut-être d’ailleurs parce qu’il s’ennuyait - il s’ennuyait d’autant plus que l’Autre, à côté, s’amusait. Peut-être l’ombre de sa solitude s’était-elle allongée sur le sol ? Alors, il toussa un peu et dit :

- Vraiment ? Que fais-tu, d’ordinaire ?

L’érable continua un moment.

Puis, comme il y avait une accalmie de nuages, il se retourna.

Il est temps d’ailleurs que je vous en parle un peu.

C’est vrai que nous autres, n’en avons que pour les hommes. A la rigueur les animaux, la plupart du temps domestiques, comme si c’était encore nous que nous faisions parler. Mais une plante, un arbre ? Oui dame, presque jamais ! à la rigueur, un rosier, comme ce petit prince et son renard. Mais dans cette histoire, s’il y a des renards, il n’y a pas de petit prince, à moins qu’il ne se cache en chacun de nous, et je suis porté à le croire.

Or donc, revenons à notre érable.

Je ne vais pas vous raconter sa vie.

Il s’en chargera peut-être lui-même, mais il y faudrait un roman entier, tant il a vu de choses.

Je vous dirais simplement ceci : c’était un vieil érable, bicentenaire.

Il avait été planté sous la grande Révolution, à ce carrefour, près de la croix. Il avait été bouillant et conquérant de l’espace, et il avait survécu à bien d’autres, végétaux ou être humains, ou animaux.

Avec le temps, il s’était assagi, était devenu calme et quelque peu solennel.

Il était devenu un Sage, ne fût-ce que parce que les siècles l’avaient mûri ... Aussi, ne vous étonnez pas si devant les questions répétées de Josué, il ne marque aucune impatience, aucun agacement.

C’est que vu d’érable, les joies et les douleurs importent moins que les feuilles qui volent en dansant.

- D’ordinaire ?

L’érable était soudain perplexe de sortir de son jeu.

- D’ordinaire, tu sais, les distractions sont rares ici. Au demeurant, je n’ai pas besoin de me distraire. Je suis, un point c’est Tout (et c’est beaucoup pour moi, et peut-être rien pour l’ailleurs).

Josué tendit ses oreilles, qui n’étaient au demeurant que des pavillons techniques ; c’était plutôt sa pensée à l’affût qui chauffait dans l’humidité ambiante, qui grésillait. L’arbre comprit et poursuivit :

- Tu vois ce carrefour ? C’est en lui-même un monde.

Il y a ce rocher, cette croix, toi et moi. Tout est si calme, il ne s’y passe rien. Pourtant, parfois, il y passe du monde.

Si tu savais tous les gens que j’ai vus depuis que je suis né ici !

L’arbre semblait se réjouir à ce souvenir, qui luisait dans sa pensée tremblante comme la feuille rouge du cerisier tombée sur la rosée d’automne.

- Tu vois bien que tu te distrais, fit Josué.

- Si tu veux, si tu veux.

Pourtant, j’ai plutôt l’impression que ce sont ceux qui passent qui se distraient, tu sais. En tout cas, ils sont distraits.

C’est à peine s’ils font attention à moi. Pourtant ne suis-je pas beau ?

- Oh si, dit Josué. Et ses prunelles s’ouvraient comme une fleur.

L’érable le regarda avec étonnement.

- Tu me rappelles quelqu’un, dans l’autre siècle.

C’était un peintre ; il m’avait peint, avec le ciel.

Il était resté au moins cinq jours, là. Il s’ouvrait, comme toi.

Il voyait même des choses que je n’avais jamais vues.

Je m’en suis aperçu quand il m’a montré son tableau.

Que c’était beau ! Il y avait tant de couleurs et de lignes, il y avait tant de mondes dans cette toile, que j’aurais bien aimé y plonger.

Ah, il peignait avec son âme, son cœur, ses tripes comme il disait.

Il avait les cheveux de certains soirs, quand le soleil se peint d’or et d’orange.

Là, l’érable s’arrêta un instant, et c’était comme si le grelot rouge de l’hiver avait sonné.

- Quand il partit, il me fit même signe de la main.

Un au revoir.

C’était le premier de ma vie.

C’était aussi le dernier.

Une fauvette rousse se posa sur l’églantier.

Et c’est d’un ton mouillé que l’arbre reprit :

- Dis, toi. Tu pourras aussi me dire au revoir ?

...

- C’est drôle, tous ces gens qui partent, qui passent ... Nous, nous restons.

Josué promit, et l’arbre fut content.

- Dis, tu es peintre toi aussi ?

- Non, non.

- Tu pourrais, tu sais ! Tu n’es que le deuxième que je vois.

Et si ce peintre de l’autre siècle repassait à ce carrefour, je suis sûr que vous vous aimeriez.

Si tu trouves que je suis beau ! ... Mais comment vois-tu ça ?

- Parce que je pleure.

- Tu es comme mon amie la pluie. Qu’elle est belle ! Elle pleure tout le temps.

- C’est aussi mon amie.

- C’est ainsi. Mais dis-moi, ceux qui ne pleurent pas, n’aiment-ils pas le Beau ?

- Je ne sais pas. L’autre est un continent ignoré. Mais ce dont je suis sûr, c’est que j’ai honte de mes larmes, et que je me cache.

- Pourtant, là tu pleures, et tu ne t’en caches pas.

- Toi, c’est différent. Mais partout, ce n’est pas drôle d’avoir des émotions à un tel point.

- N’est-ce pas là essentiel ?

- Sans doute.

- Je vais te dire, moi, ce que je pense.

Toi tu es trop jeune, moi j’ai deux siècles, alors tout a si peu d’importance.

Voilà d’ailleurs un étrange mot.

Mais j’en ai vu des gens qui s’arrêtaient, et qui cueillaient des fleurs.

Des enfants, des adultes.

Tu ne discuteras pas que s’ils le font, c’est parce qu’ils les trouvent belles ? que ce soit pour eux ou pour autrui ? Et bien je n’en ai jamais vu pleurer en faisant un bouquet.

J’en ai vu aussi des promeneurs qui s’arrêtaient là où tu es, pour regarder le paysage, pour me regarder, mais je n’en ai jamais vu pleurer pour ce motif là, du moins. Une samare s’envola dans l’air libre.

- Alors, voilà ce que je pense. Tu vois, nous les arbres, nous paraissons tous semblables : un chêne, c’est presque un autre chêne, n’est-ce pas ? Mais pour celui qui sait voir, nous sommes très différents.

Même nos feuilles innombrables sont toutes différentes : il n’y en a pas une qui soit identique à une autre.

Et bien, vous les humains, vous êtes comme nous.

Vous êtes tous terriblement différents, peut-être plus que nous-mêmes.

Mais ce qu’il faut voir, c’est capital, c’est que vous êtes différents à un point tel, que vous êtes chacun des étoiles à des années lumières existentielles les uns des autres. Un problème est que, matériellement, vous êtes proches ; si tu étais loin, tu n’aurais pas besoin de lunettes noires, n’est-ce-pas ?

- Il y a bien des étoiles filantes ?

- Ne plaisante pas, veux-tu ? C’est un sujet grave, quand même.

- C’est drôle, les rôles sont inversés. C’est moi qui suis ailleurs, et toi, tout à l’heure, ne me disais-tu pas que l’importance était un drôle de mot ?

Un léger souffle anima la chevelure de l’érable ; il était perplexe, et c’était comme s’il éclatait de rire :

- Tu vois bien ! je me suis laissé prendre ! Je suis bien fou encore.

On ferait mieux de ne rien dire, car notre pensée n’est pas plus qu’un nuage qui s’effiloche sur mes branches.

Elle se prend pour le vent.

Alors Josué reprit :

- Mais, si nous sommes différents à un tel point, le peintre que tu as vu, me ressemble-t-il donc ?

- Sur ce point de l’émotion devant la beauté, certainement.

- Alors ?

- Le miracle, mon ami ! le miracle ! Ça existe, tout de même.

Gardons la foi ! La vie, c’est beau : regarde ces nuages .... Comment a-t-il dit déjà ? Ah oui, les « merveilleux nuages », qui passent, là-bas, là-bas ; moi, c’est plutôt ici.

- Justement, ici, que fais-tu donc ?

- Tu le sais ! Je m’amuse, tout le temps. Je joue. Sais-tu jouer ?

- Cela m’amusait de jouer, quand j’étais enfant. Mais toi, tu joues même en hiver, ton hiver ?

- Bien sûr, il y a toujours des nuages, même en hiver.

- Tu es donc heureux ?

- Heureux ? Quel drôle de mot.

Je ne sais pas ; en tout cas je joue, même en hiver quand je n’ai plus mes feuilles.

Les nuages glissent encore plus près de mes branches ; je les sens mieux, et eux aussi, ils rient davantage.

- Mais quand il n’y a plus de nuages ?

- Je les attends.

- Et tu n’es pas triste, tu ne t’ennuies pas ?

- Oui, c’est vrai, mais je sais qu’ils reviendront.

- Et s’ils ne revenaient pas ?

- Mais ils reviennent !

- Oui, mais si, par extraordinaire, ils ne revenaient pas ?

Le jeune églantier, aux baies en fuseau d’orange, se courbait pour mieux entendre ; il était à l’école.

- Cette pensée n’est que du vent. Moi aussi je peux rêver de m’envoler ! Il n’est pas sage de te répondre.

- Alors, rêves-tu ?

- Tout le temps. Même maintenant, quand je te parle, n’est-ce-pas un rêve ? Quand tu seras parti d’ici, mon souvenir n’en sera-t-il pas un ? Mon rêve est ici et maintenant.

- Mais tu as la tête en plein ciel, et tu regardes l’horizon, et les nuages qui filent, là-bas, là-bas ! les merveilleux nuages !

- Ce n’est pas parce qu’ils passent, et qu’ils vont là-bas qu’ils sont merveilleux ! Les foules de gens qui sont passés à ce carrefour, et qui allaient plus loin, n’avaient rien de merveilleux, je t’assure !

- Tu n’as donc aucune imagination ?

- Je ne souffre pas.

- On peut avoir de l’imagination sans souffrir ...

- Oui, mais on peut aussi imaginer pour échapper à sa souffrance. Je te dis simplement que moi, je m’amuse avec les nuages.

- Tu es alors bien heureux, de ne pas être attiré par l’ailleurs ...

- Tu sais, j’ai des racines ; le moyen de faire autrement ?

- Tous nos malheurs viendraient donc de nos pieds ?

- Oui.

La sentence avait sonné comme un coup de hâche sur une souche, dont le son clair découpait encore l’air en rondelles vibrantes.

- Oui, comment ça ?

- Si tu n’avais pas de pieds, tu ne connaîtrais pas l’ailleurs, et ta pensée n’y filerait pas, te laissant seul sur place. Je te sens orphelin ...

- Je verrais quand même les étoiles, et les nuages ?

- Les étoiles sont toujours avec toi, au-dessus de ta tête, et les nuages y passent aussi.

- Mais à force de voir les étoiles, tu n’as pas envie d’y aller ?

- Non.

- Tu n’as décidément aucune imagination !

- C’est plutôt que je n’ai pas de pieds.

- Tu as une pensée en bois.

- A qui parles-tu ? Cela ne m’empêche pas de jouer avec les nuages, la pluie, le vent, la neige. Je pourrais te raconter pendant des siècles mes plaisirs ; mais tu ne seras plus là ...

- C’est aussi ce qui nous chagrine.

- Encore l’ailleurs !

- Forcément !

- Un jour, un instant, le temps de la chute d’un flocon ; mais pas maintenant. Moi-même, je suis le fruit de mon père.

Qui se souvient de lui ? Qui se souvient des arbres morts, qui pourtant ont vécu si longtemps ? Ah, l’importance : un mot qui ne l’est pas ; un flocon de nuage qui s’évapore au soleil levant pour un jour nouveau.

Tout est toujours nouveau, tu sais. Tu tiens donc tant à toi ?

- Je me suis habitué à moi-même. Oui, bien sûr, tous les matins sont un jour nouveau, mais on se retrouve quand même.

- Ce que c’est que le poids de l’habitude ! C’est à moi que tu disais que j’avais une pensée en bois ? Il me semble que toi aussi ...

Ils rirent tous les deux, car leur pensée s’était à nouveau effilochée pour se confondre ; l’une avait l’habit de l’autre.

Un scarabée bleu sur le chemin passait indifférent à ces hautes sphères.

Il n’était pas sur le sommet des montagnes. Il roulait sa boule, et sa destinée n’était pas autre.

Dans le fossé, une ancolie coquette fleurissait (sans aucune mélancolie).

Un instant passa, à l’ombre de la croix, qui en avait vu bien d’autres.

Le vieil érable avait repris son jeu, car une masse extraordinaire de nuages arrivait en rangs serrés.

Alors Josué reprit, infatigable :

- Attends, attends. Et la solitude ?

Trop occupé à jouer, l’érable lâcha :

- Encore l’ailleurs, et tes pieds !

- Ce n’est pas gentil !

L’arbre s’interrompit :

- Excuse-moi ; tu es né avec un frère, et tu l’as perdu ? J’ai connu ça : deux glands qui avaient poussé ensemble, pendant cent cinquante ans, et un jour, un bûcheron en a coupé un.

L’autre était triste, il se sentait seul ... Ce n’est pas mon cas.

- Mais toi, tu es seul à ce carrefour ?

- Ah oui, je ne suis pas un arbre des forêts : là bas, dans la grande forêt, c’est la foule ! Je te dis pas. Je préfère être ici. Au moins, je fais ce que je veux. Je ne sais rien sur la solitude. Que veux-tu, on est tous différents ; on l’a déjà dit ?

- Alors, que reste-t-il ?

- Tu l’as dit au début, ton émotion, tes larmes, devant la beauté.

- Ah oui, mais qu’est-ce que c’est ?

- ton émotion, devant l’inattendu renouvelé, peut-être ?

Josué hocha la tête :

- peut-être, peut-être.

- Qu’as-tu d’ailleurs besoin de savoir ? Ton émotion ne te suffit-elle pas ?

- Oui, mais tu sais : je souffre, même si je souffre de joie !

- Que veux-tu, on ne se refait pas ; toi aussi tu es différent ! Mais je sais ce qui te ferait plaisir ! Le peintre de l’autre siècle, aux cheveux couleur d’orange.

Va à sa rencontre ! Ce sera merveilleux ! Tiens, contourne la croix, là, et prends le chemin de droite, c’est un chemin extraordinaire.

Tu finiras par le rejoindre ; il ne peut pas être bien loin, car lui, il pose son chevalet tous les cinq mètres ! Va ! Excuse-moi, il faut que je joue avec mes amis.

Alors Josué reprit son bâton de genévrier, chut de son rocher, et s’en alla sur le chemin.

Sans bouger, il avait fait quelques pas à l’intérieur de lui-même.

Un peu plus loin, il se retourna, fit un grand geste de la main, et cria :

- Au revoir !

L’érable eut un immense sourire et lui jeta :

- Au revoir, reviens me voir quand tu veux ! A ce carrefour, tu as désormais un ami !

Une alouette grisollait vers le soleil.

Et l’arbre ajouta d’un air malicieux :

- Et n’oublie pas ! Prends racine !

Le carrefour avait repris sa paix, à peine troublée.

Sur l’horizon se détachait la croix ; un vieil érable fou semblait courir après les nuages.


9 juillet 2001, Acca, accident de chasse, Affouage, Arbre, Association syndicale, Avocat environnement, Bandite, bois, Bois communaux, Boisement, Bourdaine, Champignon, chasse, Chasse en forêt, Chemin d’exploitation, Chemin rural, Chêne truffier, Chute d’arbre, Chute de branches, Code forestier, Coupe abusive, Coupe extraordinaire, CRPF, Débardage, Débroussaillage, Débroussaillement, défrichement, dégâts de gibier, Droit de chasse, droit forestier, eaux et forêts, Engref, Entrepreneur forestier, espace boisé, Expert forestier, Expertise agricole, Exploitation forestière, Forestier, forêt communale, Forêt de protection, Forêts, glycines, Groupement forestier, incendie forestier, Inventaire forestier, L. 130-1, Mayotte, Monichon, Morts-bois, Parc forestier, peupleraie, peuplier, Plan de zone sensible, Plan simple de gestion, Poésie, Processionnaire, régime forestier, Sérot, Soumission au régime forestier, Vent violent, Voirie départementale.