LE GRAND VENEUR ET LE ROI
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Le Grand Veneur et le Roi
- Ventre-Saint-Gris ! jura le Roi, en tirant sur la bride de son cheval blanc, qui diantre chasse dans nos bois ?
Un pli de contrariété apparut sur le front du Comte de Soissons :
- votre majesté, je ne sais ! Et vous m’en voyez grandement surpris.
- Tudieu, il semble mener grand équipage !
On entendait au loin, dans la forêt, les hurlements d’une meute importante de chiens, que relançaient les sonneries de chasse.
***
On était en l’an de grâce 1598, au milieu du mois d’août.
Le soleil d’été ne se doutait pas encore qu’il serait honoré ? ce point qu’un roi ? venir le prendrait pour emblème.
Pour l’heure, il écrasait la forêt sous des rayons ardents, prenant malin plaisir ? jouer avec l’ombre, jetant des palets de lumière ? travers les feuillages serrés de la forêt de Fontainebleau.
Le bon roi Henri IV avait quitté son Béarn et les Pyrénées, pour s’exiler dans les froides contrées du Nord.
La couronne de France valait bien une messe !
Après avoir longuement discuté en conseil avec Sully, récemment nommé aux finances, le roi avait senti monter en lui la fièvre de la chasse, de la course et du grand air.
Le soleil éclatait aux hautes fenêtres, et l’invitait.
Alors, Diantre ! A quarante-cinq ans, le Roi pouvait vaquer ? ses honneurs, ? son prestige et ? ses joies.
La chasse en était une, outre les belles femmes, et la guerre.
Et puis, avec de si bons conseillers, n’était-ce pas accroître leur propre fidélité et confiance en leur roi, que de leur laisser leur liberté d’agir, quand les principes étaient déj? fixés ?
Ainsi pensait le bon roi Henri, en ces moments de belles heures.
Il avait ce matin l? une telle insouciance fleurie que cela le faisait paraître plus beau et plus jeune aux jolis yeux qui l’entouraient.
On lui avait amené son cheval blanc, dont il avait tapoté la croupe avec familiarité, comme il faisait souvent.
Puis, cédant ? sa fougue, et impatient de se retrouver sous couvert forestier, il avait lâché la bride et éperonné.
Le cheval était parti au galop, et le roi riait, de son rire sonore.
Le Comte de Soissons l’avait suivi de près, comme il le faisait en âge.
L’équipage royal s’était engagé ? leur suite, ? son rythme, c’est-? -dire essentiellement celui de la meute.
Le roi était parvenu sous la haute futaie.
Il essuyait les gouttes de sueur qui perlaient sur sa joue.
Les chênes s’étaient aperçus de sa présence, et toujours bavards, ne cessaient de répéter ? travers leurs murmures : “ le roi est l? ! le roi est l? ! ”.
De loin en loin, la nouvelle se propageait, et il n’y avait modeste sureau ou jolie églantine de la forêt immense qui en l’espace d’un soupir n’était déj? au courant du passage de l’auguste visiteur.
Le roi venait souvent chasser en ces lieux.
Mais ? chaque fois, c’était pour la forêt un plaisir renouvelé.
Certains même en tiraient orgueil, dont les noisetiers de l’étoile aux daguets, où le roi aimait s’arrêter, et qui se considéraient comme des familiers, des intimes de sa Majesté.
Sous la futaie, le cheval blanc du roi se détachait dans l’ombre comme un lys ? la tombée du jour.
Quelques mouches curieuses voletaient deç? , del? .
Happé par la fraîcheur, dressé sur ses étriers, Henry IV regardait fixement le sol, laissant couler l’instant.
Le Comte arriva, se rangea ? côté du roi, ? l’ombre du grand chêne.
- Et bien, Soissons ! Où restais-tu ?
Le Comte sourit :
- vous savez bien Sire, que votre Majesté est toujours La Première.
Henri sourit ? son tour, de ce sourire dont certains se méfiaient, et que d’autres trouvaient ensorceleur.
Quelques piqueurs revenaient, annonçant un dix-cors.
La voie du cerf avait été levée, et les chiens lâchés s’y engouffrèrent, peuplant les sous-bois de leurs jappements.
Ainsi commença la chasse royale, relayée des sonneries.
***
Il n’était pas loin de midi, quand parvenu ? une étoile d’où l’on peut voir au loin dans toutes les directions, le roi s’était immobilisé.
Il avait cru ouïr un bruit étrange, lointain, mais qu’il identifiait.
- Chut ! fit-il, écoutez !
Le silence se fit ? grand peine, mais les conversations se turent, et au bout de quelques dizaines de secondes, on entendit distinctement.
- Mais, “ boun diou ”, il s’agit bien d’une chasse !
Le fantôme des anciens rois serait apparu ? cet instant, que la surprise n’en aurait pas été plus grande.
Tous ceux qui entouraient le monarque avaient entendu en effet les sonneries, et étaient subitement plongés dans la plus grande perplexité.
On entendait au loin, dans la forêt, les hurlements d’une meute importante de chiens, que relançaient les sonneries des cors de chasse.
Le visage du roi s’empourpra.
- Ce n’est pas une illusion ?
Vous entendez comme moi des trompes de chasse, et des chiens en abois.
Le Comte de Soissons, qui avait mis sa main en pavillon derrière son oreille, hocha la tête :
- oui Sire, ? n’en pas douter ; c’est stupéfiant !
- Peut-être, dit un autre, qu’il ne s’agit l? que d’un écho que nous renvoie la forêt, de nos propres trompes ?
Le phénomène est connu.
Le roi sourcilla :
- écoutez bien, écoutez !
Tout le petit groupe s’immobilisa ? nouveau.
On n’entendait que le vrombissement de quelques taons qui passaient en rafales, mais toujours au loin, la chasse perdurait.
- Ce n’est pas possible, reprit le roi, je ne reconnais aucune de nos sonneries ! Vous êtes de mon avis, Messieurs ?
Tout le monde opina.
C’était vrai.
- Tudieu ! continua le roi, il faut aller voir quelles sont ces gens !
Henry IV était visiblement choqué.
Il faut savoir ici que notre bon roi Henry est celui qui a restauré dans sa plénitude le droit de chasse de la noblesse, dans une ordonnance de Toulouse.
Il était donc frappé que ce privilège ne soit pas respecté, en sa forêt royale, où nul autre que lui ne détenait ce droit.
Il commençait ? donner de l’éperon, quand un nouvel événement plongea l’équipage au comble de la stupéfaction.
Tous près d’eux, ? travers la hêtraie, et faisant presque vibrer les feuilles claires, une sonnerie venait d’éclater.
Les jappements de la meute se faisaient entendre si près qu’on avait l’impression que les chiens allaient déboucher sur l’allée.
Par quelque extraordinaire sortilège, la chasse qui était dans le lointain s’était rapprochée en quelques secondes.
- par la Mordieu ! dit la Trémoille, que j’en trépasse si ceci n’est pas de la sorcellerie !
Il parlait vrai, en vérité.
Les feuillages s’étaient soudain immobilisés.
On aurait dit que la forêt, pourtant experte en mystères, était frappée de stupeur par un événement des plus extraordinaires.
Les frênes, apeurés par quelque inexplicable fait, se serraient les uns contre les autres.
Les fougères courbaient leurs frondes, et ce n’était pas devant l’hôte royal.
Comme mus par les correspondances, le roi et son entourage se tournèrent vers l’allée d’où se faisait entendre ce vacarme.
Mais ils furent frappés de stupeur ? leur tour. Le chemin était vide.
Le Roi se passa la main devant les yeux.
- Les voyez-vous ? Fit-il ?
- Non, sire, concéda Soissons.
L’allée se poursuit, ? perte de vue, sans personne.
Sur les côtés, la futaie dresse ses hautes tiges, peuplées de solitudes.
En bas, le sous-bois frémit.
Pourtant, sur le sable clair de l’allée, une poussière s’élève, et des empreintes multiples témoignent d’un passage.
A n’en pas douter, la meute hurlante est l? , tout près.
On entend distinctement les voix qui relancent les chiens, qui hâtent la course, on entend les chevaux qui hennissent, et même des sonorités métalliques, comme si des armes s’entrechoquaient.
Soudain, cette rumeur invisible se déplace.
Elle se faisait entendre ? droite, elle passe devant, puis ? gauche, puis derrière, puis de nouveau ? droite.
Manifestement, elle tourne lentement autour de l’équipage du roi.
L’étonnement fait alors place ? une sourde inquiétude.
Le roi lui-même s’émeut, et lance :
- Soissons ! Avancez, et allez voir ce qui se passe !
Le Comte, pourtant brave sur les champs de bataille, et dont la vaillance est réputée, blêmit.
Tous commencent ? sentir, au tréfonds d’eux-mêmes, jusqu\'? la surface de leur peau sur laquelle la sueur se glace, que le surnaturel est proche.
Néanmoins, il avance sur l’allée, puis dans le sous-bois.
Il revient, et crie presque :
- Sire, j’entends comme vous, les chiens et les cors, mais je ne vois rien ! Nous sommes ensorcelés !
Le roi hausse les épaules.
- C’est étrange, fait-il, mais...
***
Il n’eut pas le temps de finir sa pensée.
C’est alors qu’? travers deux hauts fûts de chêne, apparaît un étrange cavalier.
Il est seul.
Mais derrière lui, la meute invisible aboie.
Le cheval est noir.
L’homme a la peau noire, d’un charbonnier.
Il est abondamment chevelu et barbu. Mais ce qui frappe le plus, ce sont ses yeux, étincelants, qui donnent l’impression de jeter des éclats de braises.
Sans aucune révérence pour la personne royale, et sans crainte, il crie, d’une voie forte et terrible :
- vous vouliez me voir ! Me voici !
L’équipage est littéralement pétrifié.
Puis, il tourne la tête et le regard vers le roi, qui se détache sur son cheval blanc, et lui jette, ? n’en pas douter ces mots qui lui sont destinés :
- amende-toi !
Puis, son être se confond dans la hêtraie, et disparaît.
Aussitôt, la forêt redevient silencieuse.
Plus un cri, plus un jappement, les aboiements de la meute, les pas des chevaux ne se font plus entendre.
Les sonneries cessent.
La chasse fantôme s’est volatilisée.
Le roi, sous l’apostrophe, a blêmit.
Mais il se remet vite de l’effet.
Il retrouve sa majesté, se tourne vers l’équipage et ordonne :
- qu’on retrouve cet homme !
Sous l’empire de l’ordre, la normalité revient.
Chacun se rue, intimement partagé entre l’envie de trouver, et la peur d’être confronté ? l’apparition.
On cherche dans les fougères, dans les taillis, dans le taillis-sous-futaie, et tout au long de la haute futaie sur un vaste périmètre.
Mais rien ! Il n’y a rien !
Le roi se demande, en son for intérieur : avons-nous rêvé ? - Il regarde l’équipage - est-ce possible, d’ailleurs que nous ayons tous rêvé ensemble ?
L’emplacement entre les deux fûts de chêne où est apparu l’homme noir, est l? , vibrant encore de sa présence, mais imposant l’absence.
Il n’y a plus rien ? faire ici.
Le roi assied son chapeau ? plumet sur sa tête, et lance :
- partons !
Et il montre l’exemple, Soissons, fils de Condé, ? ses côter.
Ils remontent l’allée.
Le silence règne, troué du martèlement des sabots des chevaux et du jappement des chiens.
Les plus gais d’entre les compagnons, les plus propices aux fêtes, ont cessé de parler.
Ils sont catholiques, même si certains sont fraîchement convertis, mais la superstition les a envahis.
Le roi lui-même baisse la tête, songeur, lui qui d’habitude est si gai, si bavard, si prompt ? lancer quelque gasconnade.
Il pense.
Devant l’Eternel, il reconnaîtrait que lorsque l’homme noir s’est tourné vers lui, il a tremblé.
Et les mots prononcés lui ont haché le cœur.
Il a aimé les femmes, souvent légèrement, bien qu’avec fougue.
Mais, cette fois, il aime d’amour fou cet adorable visage, ce regard d’eau de jade, ces manières gracieuses, fines et toujours surprenantes, ce sourire en bonté, ces réparties d’esprit, et ce corps merveilleux : Gabrielle, Gabrielle d’Estrées.
Il en est si fou qu’il veut en faire la Reine, il veut l’épouser.
La phrase prononcée par l’homme noir est-elle un avertissement ?
Le pauvre Roi ne sait pas encore, que neuf mois après l’apparition, celle pour laquelle il irait presque jusqu\'? se damner, s’éteindra dans d’étranges convulsions, celles du poison.
Il en aura le cœur brisé, et se résignera alors au mariage vers lequel un grand parti le pousse : celui avec l’Italienne, Marie de Médicis.
Pour l’heur, le roi chemine, ? petit trot.
Il est éminemment contrarié.
Il veut en savoir plus.
Le mieux est d’interroger les gens de la forêt.
L’équipage royal arrive dans une clairière, au milieu d’un canton de chênes rouvres.
Il y a l? des bûcherons, et surtout des charbonniers.
Ils mettent genoux en terre quand le roi leur parle.
Car d’habitude, si le roi fréquente la forêt, et s’il passe ? proximité d’eux, il se contente de les saluer, mais ne s’arrête guère.
Le roi leur conte ce qui s’est passé.
Aussitôt, l’unanimité se fait parmi ce peuple des forêts :
- Sire, c’est le Grand Veneur que vous avez vu !
- le Grand Veneur ? Qui est-ce ? On ne m’en a jamais parlé !
- C’est que, Sire, on n’en parle qu’? voix basse.
Il chasse souvent par ici !
- C’est vrai, reprend un bûcheron ? la forte carrure, même que l’an dernier, près de Franchard, je l’ai rencontré.
Je repérais des arbres dans ce canton, quand brusquement, ? quelques enjambées de moi, il était l? .
Je ne l’avais pas vu arriver.
J’ai eu l’impression qu’il surgissait du sol.
Et ici, le bûcheron écarquillait les yeux, comme s’il revivait ce moment.
- Je ne pouvais plus bouger.
Il m’a regardé, fixement, un bon moment, dressé sur son cheval, sans rien dire.
Puis il a ricané, et brusquement a disparu.
Cet instant était trop fort, et je n’ai pas rêvé.
D’ailleurs, ? l’endroit où il se tenait, les bruyères étaient foulées.
- C’est vrai, reprit un autre, moi aussi je l’ai vu.
C’est un fantôme, qui s’amuse ? effrayer les bonnes gens ! Mais cela porte malheur de le rencontrer.
Et l? , ce charbonnier se tourna vers les autres :
- vous vous souvenez, il y a six ans, Tourangeau ? ce qui lui est arrivé ?
Le roi intervint :
- et vous dites que c’est un fantôme ?
- Pour sûr, sire.
Qui diable voulez-vous que ce soit ?
C’est le Grand Veneur, ou le Chasseur Noir, comme on l’appelle, nous autres.
Souvent, il est accompagné de tout un équipage, que l’on entend, sans le voir ...
- C’est ce qui nous est arrivé !
- Et cela fait longtemps qu’il hante la forêt !
J’ai ouï dire qu’on en parlait déj? du temps du mauvais roi Louis X le Hutin !
Et celui qui avait prononcé cette phrase, un vieux charbonnier ? la barbe blanche sous un visage presque noirci de fumée, cracha par terre, pour conjurer le sort.
Le roi et ses compagnons continuèrent leur marche.
Ils arrivèrent près d’une source, où l’on mit pied ? terre.
On sortit, comme ? l’accoutumée, les terrines, pâtés, et vins de Jurançon que le roi faisait toujours suivre.
Mais les plaisanteries furent suie, au lieu que d’être mèches et flammes.
Revenu au château, on conta l’aventure.
La nouvelle se propagea comme une traînée de poudre.
Dans la semaine, il n’y avait sujet dans ce beau royaume qui ne sût que le Roi de France avait rencontré un fantôme.
Il ne fut pas le seul.
L’Auguste roi Soleil lui-même en fit la rencontre, mais garda le secret de la conversation qu’il eut avec le Grand Veneur.
Et d’autres aussi, dont une brave anglaise, aux portes du XXème siècle.
***
Or donc, si m’écoutez, et passez en ladite forêt, ou en certaines autres, ouïssez le temps passé qui filtre ? travers le murmure des feuilles.
Et s’il vous semble entendre cors de chasse et bruits de meute, sans voir oncque personnes ou chiens, sachez que le Grand Veneur s’ébat ? travers la forêt, dans le plus noble des anciens plaisirs.
Mais faites écart ; il n’est point bon d’en avoir la rencontre.
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