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LA TOILE

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La Toile

Conte des forêts de la Noël

Je vais vous raconter l’histoire, certainement la plus terrible de ma longue vie. Mais attendez un petit instant : il faut que je m’étire dans l’âtre.

Cela se passait au Noël dernier. Rien qu’� m’en souvenir, j’en aurais presque des frissons, si je n’apportais chaleur et lumière dans ce foyer.

Il faut vous dire que je suis un chêne. Un chêne de la plus belle espèce. Ce n’est pas coquetterie de ma part de le dire. C’était l’avis de tous les arbres de la forêt. J’ai poussé en effet dans la grande forêt de Trézil-la-fontaine-française, il y a de cela trois cent hivers. Je m’en souviens encore, quand, jeune gland dans la neige, je cherchais � m’ancrer de toutes mes petites racines dans l’humus sous les feuilles givrées. C’était déj� la lutte, la lutte pour exister, pour le sol. Car nous les arbres, nous sommes un peu comme vous les hommes : nous essayons d’aller en profondeur, que ce soit par nos racines ou par notre montée vers la lumière. Bien que j’aie tendance � penser que nous sommes bien plus sages …

Mais je ne vais pas vous exposer cela (vous m’excuserez, je suis un peu philosophe). Revenons � mon histoire.

Balayons d’un trait ma vie : trois cent ans d’existence. J’étais devenu le plus grand chêne dans cette partie de la forêt. J’en ai vu des choses ! Mais ce jour-l� , de l’an de grâce 1143, il faisait un froid de loup ; on était fin décembre ; c’était le temps de la mort du soleil comme disait les anciens – et comment dites-vous, vous ? Ah ! oui, le solstice d’hiver ! Et pour les temps nouveaux, ceux de la chrétienté, c’était les jours de la Nativité.

Il neigeait. Chaque arbre se couvrait d’un manteau d’hermine, et au bout de deux jours, la forêt semblait en grande cérémonie. Sans trahir un secret, nous préparions-nous aussi Noël.

La nuit, au-dessus de nos têtes, les étoiles scintillaient de joie ; les épicéas bleutés en décrochaient quelques-unes pour les suspendre � leurs branches. Cela leur donnait un air de fête. Dans l’obscure forêt, ils paraissaient merveilleux, et bien des faons les regardaient avec des yeux grands comme le lac d’ici.

Les flocons couvraient le sol dans un grand sentiment de tendresse. Les creux et les bosses disparaissaient. Les feuilles mortes avaient tiré � elles cette belle couverture, pour s’endormir � jamais. Elles étaient encore belles, chatoyantes des couleurs d’automne, mais la fleur elle-même ne doit-elle pas être coupée tant qu’elle est belle ? En tout cas, elles mourraient heureuses de cette dernière attention, de ce drap d’une blancheur immaculée, qui pour elle était la plus belle des parures. La beauté était leur ultime consolation.

(je vous l’avais bien dit que j’étais philosophe ! Mais chez un chêne de trois cent ans, vous admettrez que le contraire serait curieux, et signe d’inconscience.).

***

Je savais que mon temps était venu. Ne me demandez pas comment, c’est un secret. Disons qu’au fond de nous, une voix parle. Une voix qui vient aussi des nuages d’étoiles. une voix qui chuchote entre les branches, quand le vent du soir s’éveille.

C’est comme ça d’ailleurs, que j’en ai eu la confirmation.

C’était la voix du vent. Une voix que je connaissais bien ; mais elle était glacée, comme enrouée, � force de passer � travers les branches givrées. Toutefois, elle chuchotait :

- et Jules !

C’est mon nom. Un nom illustre, que nous portons de père en fils, et qui me vient de mon trisaïeul, du temps où l’on cueillait le gui sur les chênes.

Avec l’âge, je suis dur de la feuille. Mais j’avais quand même entendu. Et puis, je savais. Je répondais :

- c’est � moi que tu parles ?

- bien sûr ! Je suis venu te dire que cette année, on t’a choisi !

J’étais soulagé. Vous savez, au bout de trois cent ans, on aspire � sa fin. Et puis, avec tous les petits que j’ai faits, je n’ai pas � m’en faire. De tous côtés, dans cette forêt, on m’appelle Papa, Papy, Papou, Papounet … c’est très sympathique, mais je vous dirais qu’avec le temps, j’aimerais bien faire retraite. Et puis l’aventure, cela m’a toujours tenté. Même celle de ma fin.

Cette nuit-l� , je dormis comme un loir. Je crois même que je n’ai jamais passé une si belle nuit. Même le bavardage des jeunes étoiles ne m’a pas réveillé ! Et le matin, quand les pâles rayons du soleil ont chatouillé mes feuilles, c’est � peine si j’avais envie de m’étirer.

***

Ils sont venus � l’heure où les marcassins quittent la chaleur de leur mère pour s’ébrouer dans le matin nouveau. Ils étaient huit. Je les ai entendus avant que de les voir : ils chantaient. Ils savaient parfaitement où j’étais ; ils me cherchaient. C’était de rudes gaillards. Leurs muscles faisaient de petites collines sur leurs bras, qui saillaient � travers leurs manteaux de peau de chèvres. Sur l’épaule, un éclat de lumière s’accrochait ; c’était leur cognée. C’était ce fer, que d’aucuns disent cruels, et qui nous jetaient � bas, nous les seigneurs de la forêt, installés depuis des siècles. Mais moi je l’acceptais, car je savais quel destin m’était promis. J’acceptais ces bûcherons, qui, quand ils me virent, poussèrent un cri d’admiration. J’en cachais mon rougissement sous la teinte jaune pâle de mes feuilles dentelées.

Ils firent une prière, comme le voulait la coutume, puis se mirent au travail. Ce fut long, car j’étais gros. Je n’y mettais pas de mauvaise volonté. Eux de leur côté déployaient toute leur ardeur, en chantant, sifflant, soufflant, et s’arrêtant de temps � autre pour une gorgée de fine. Si bien que dans l’après-midi, dans un grand craquement, je m’abattais.

C’était étrange de me retrouver sur le sol, allongé. C’était curieux, c’était marrant. J’étais taraudé par le démon de l’aventure. Et quel démon ! Vous allez voir.

L’après-midi, on me scia, on me débita en d’innombrables morceaux. N’en pleurez pas ! Je sais que chez vous les hommes, on ne peut pas vous tronçonner sans une énorme souffrance. Mais chez nous, les arbres, cela peut se faire. Nous restons entiers dans chaque morceau. Vous en voulez la preuve ? Plantez en terre une de mes branches fraîchement coupée. Vous allez voir si elle ne repousse pas !

Je me retrouvais donc, impeccablement rangé en stères. Peu de jours après, on vint me chercher. Je fus chargé sur une charrette, et tiré par un grand cheval gris. J’étais comme un roi fainéant qui se promène � travers la forêt. Je découvris la beauté des champs, de ces paysages sans lisières, sans limite.

Je fus rangé dans une grange. Pour la première fois j’étais au sec, � l’abri de la pluie. Et je commençais � sécher. L� , j’admets que ce fut un peu dur. J’avais l’habitude d’être au large, vous pensez ! Je vous dirais même que j’étais gourmand : � chaque pluie, je buvais l’eau avec délectation, dans une sorte de communion ; je me gorgeais, je grossissais avec joie (c’est d’ailleurs notre loi � tous, nous les arbres). Et puis l� , subitement, j’étais mis au régime, � la diète. Je séchais. C’est dur, vous savez, c’est dur de changer de vie. Mais il faut s’y faire, et puis je savais quel était mon destin merveilleux.

Au bout de deux ans, je finis par ne plus me ressembler. J’étais devenu sec et cassant. Au physique, car dans le fonds, j’étais toujours empli de générosité, et d’amour. C’est d’ailleurs bien pour ça aussi que j’avais accepté mon sort.

***

J’étais dans une belle maison. Le chef de famille avait dix enfants, et sa femme en préparait encore un autre. Ce n’était � travers la journée que cris de joie, batailles, turbulences de cette jeunesse ; et moi, le vieux chêne, j’en étais ravi, j’aurais bien aimé en faire autant.

Je savais que la Noël arrivait. Cela se voit aux boules de gui, qui se nacrent, deviennent comme des perles.

Et vint la nuit terrible.

Je dis terrible, car, vous l’avez peut-être oublié, vous des temps futurs, qui n’existez pas encore, qu’il se passe des choses fabuleuses durant cette nuit l� , celle de Noël. Je pourrais en faire un livre entier si je voulais, tant j’en ai vu. Vous pensez ! Dans l’ombre de la forêt, en pleine nuit d’hiver, un 23 décembre, cela grouille de présences insolites. Les fées, les lutins, les farfadets, les loups-garous s’en donnent � cœur-joie. Il n’est pas jusqu’� la mort, que j’ai vue passant sous mes maîtresses branches, chevauchant un cheval noir, se rendant � l’église du village pour la messe de minuit, les yeux rouges de braise enfiévrée, grands ouverts et insensible au vent, afin de désigner dans l’assemblée, d’un doigt terrible, ceux qui doivent trépasser dans l’année qui vient. Mais tout cela sera pour une autre fois.

Le maître de maison vint me chercher. Il me prit en quelques bûches. Je franchis le seuil de la maison. Il me posa dans l’âtre, l� où était mon destin.

Le soir, l’homme de Dieu vint. Il me marqua du signe de la croix, me bénit, et m’aspergea d’eau bénite. Je savais que j’avais été choisi comme bûche de Noël, ultime consécration pour un chêne que d’accompagner la naissance du Sauveur.

Je ne peux vous décrire ma joie. Il y avait du monde, toute la maisonnée, autour d’une longue table en châtaignier. En ces temps-l� , on mangeait peu tout au long de l’année, mais pour les fêtes, on se rattrapait. Et ce monde, tout en étant forgé � l’austérité des temps et de l’état de paysan, mangeait, buvait, dans un plaisir qui était � la fois physique, mais aussi pénétré du caractère sacré de la nuit.

Moi, j’accompagnais cette joie. Je me démenais. Je ronronnais de chaleur dans l’âtre. De temps � autre, j’éclatais, et lançais � la ronde des escarbilles comme une pluie d’étoiles filantes. Le maître de maison les comptait et disait joyeusement : j’aurais une poule de plus ! Et moi, pour m’amuser, je lui en lançais d’autre.

La nuit était tombée, et la soirée passait. Vint le temps de la messe. Chacun s’apprêta, se vêtit de son manteau de peau, car dehors, il gelait � pierre fendre. La mère avait placé près du feu le berceau de son dernier né. Il allait rester l� , emmailloté, le temps des messes ; c’était la coutume, car était maudit celui ou celle qui ne s’y rendait pas.

Le maître avait déj� placé sur la table une assiette de plus, et sa femme une tranche de pain � côté. C’était pour le visiteur de la nuit. Car cette nuit-l� , les morts des temps passés reviennent � la table où ils étaient jadis, et silencieusement s’asseyent. On ne les voit, mais ils sont l� , et vous regardent.

La porte se referma, un courant d’air glacial vint se chauffer au feu.

Je restai seul, avec l’enfant dans le berceau.

Je m’efforçai de rayonner.

Le clocher de l’église proche venait de sonner onze coups. La première des messes commençait.

C’est alors qu’il se passa une chose merveilleuse. Il y eut comme un léger brouillard, puis deux êtres apparurent, fins, diaphanes, bleutés comme certaines étoiles. Ils se dirigèrent vers moi, et s’assirent au bord du feu. Ils tendaient leurs mains comme s’ils voulaient me caresser.

Quand ils se penchèrent, je les reconnus. Je les avais déj� vus, pendant des siècles, et � certains moments de l’année, se poser dans les nuages, sur une branche, ou près d’une source. C’était deux anges.

Mais ce que j’ignorais c’est qu’ils rentraient ainsi dans les maisons. Ils ne parlaient pas, mais semblaient se comprendre. Moi, je voyais bien qu’ils étaient rentrés pour se chauffer un peu.

Cela dura longtemps. Leur présence me réchauffait le cœur, plus qu’aucune de mes braises. C’était un sentiment de plénitude, de paix, qui semblait éternel.

Et puis, l’un fit un signe � l’autre. Il était temps. Ils avaient tant � faire, cette nuit-l� , � travers les campagnes, les champs et les montagnes, surtout � l’approche de minuit.

Ils partirent comme ils étaient venus, dans un brouillard, bleu.

***

Les douze coups sonnèrent. C’est une heure merveilleuse et terrible. Terrible, parce que vous allez voir.

Je ronronnais dans l’âtre, et m’étais quelque peu assoupi. Les douze coups me réveillèrent. Le bébé dormait dans le berceau.

Et puis, je me réveillais tout � fait quand un peu de suie tomba sur moi.

J’éternuais en quelques escarbilles, et toutes fibres tendues, j’écoutais. Il y avait un bruit, un frottement, qui devenait de plus en plus perceptible. Au-dessus de moi, quelque chose descendait dans la cheminée.

Ce fut rapide. Un pied se posa sur moi. Chose étrange. J’étais brûlant. Et la chose n’en éprouvait aucune gêne.

Mais était-ce bien une chose ? Quand elle sortit de l’âtre pour sauter dans la pièce, je le reconnus tout de suite, et le restant de ma sève se figea dans mes veines.

Il était grand, mince, efflanqué, vêtu de rouge, coiffé d’un petit chapeau vert � plume. Au-dessus de sa barbiche de chèvre, un mince sourire plissait ses lèvres, et deux yeux rouges brillaient comme un charbon dans la nuit.

Oh ! Je l’avais vu maintes fois, mais jamais d’aussi près. Tout le monde sait que la nuit de Noël où tant de choses se passent, le diable erre � travers la campagne, � la recherche des damnés, ou de quelque méchant coup � faire.

Je n’avais qu’une envie, lui nuire. J’envisageais d’exploser, de me projeter hors de l’âtre en un faisceau de braises. Mais je réfléchis rapidement : � quoi bon ? Le diable est insensible au feu. Je ne pouvais rien faire.

Au demeurant, tout se passa très vite.

Le diable s’empara du bébé, avec un bref ricanement. Puis il se dirigea vers la porte. Quand il passa près du coin de la table où l’assiette et la croûte de pain étaient déposés, il manqua de trébucher.

Alors, il rugit ; et semblant s’adresser � une personne, il dit :

- toi, pousse toi de lÃ? !

Puis, il passa Ã? travers la porte, qui rougeoya un instant, et on ne le vit plus.

Je restais l� , grésillant, catastrophé.

Vers une heure du matin, la famille revint. La mère puis le maître de maison se dirigèrent vers la cheminée, et découvrirent le berceau vide. La mère éclata en pleurs, et le père en fureur. Il se mit � chercher partout dans la pièce, quelque trace. Mais rien.

Il dit alors :

- mais qui ? Qui ?

Moi, je savais, mais ne pouvais rien dire.

C’est � cet instant qu’une voix se fit entendre. Elle était feutrée comme la profondeur d’une ombre.

- C’est le diable !

Tous les enfants se ruèrent près du feu, autour de leur mère et de leur père. L’étonnement et la peur se lisaient sur tous les visages. Le père s’exclama :

- Mais c’est la voix du Papet !

La voix reprit :

- oui, mon fils ! C’est moi, je suis revenu ! Comme depuis vingt ans. Et pour une fois, je peux parler, pour réparer le terrible péché que le diable veut commettre. Oui, je te le dis : c’est lui.

Le père se rapprocha de la table, poussa le banc, s’assit près de l’assiette, et dit :

- Dis-moi Papet, comment es-tu ?

Il parlait Ã? la chaise, immobile.

La voix, quelque part dans l’espace, reprit :

- Bien, mon fils, bien, mais je ne peux rien te dire de plus. Occupe toi plutôt de ton enfant, qui est en mal du démon.

- C’est vrai, Papet ; que dois-je faire ?

- Je ne sais pas, mon fils, je ne sais pas. Le diable court, maintenant, il est loin, si loin !

Une grande tristesse s’abattit dans la pièce, comme un grand voile noir.

Moi, j’étais dans l’âtre, fulminant. N’y-avait-il donc rien � faire ? A l’intérieur de moi, je brûlais d’indignation. Je fumais par tous les pores.

Et puis, j’eus soudain, comme une flamme, une illumination. Oui, la fumée, la fumée ! C’était ça le moyen ! Il fallait communiquer la terrible nouvelle. Et je savais � qui, car pendant trois siècles, dans les nuits étoilées, je l’avais au-dessus de ma tête.

Alors, je réunis le peu de sève qu’il restait en moi, et je me mis � souffler, jusqu’aux limites de la suffocation. De la fumée, et encore de la fumée, qui montait bien droite � travers la cheminée, et qui s’échappait de plaisir dans l’air froid de Noël, pour monter vers les étoiles.

Cette fumée, c’était encore moi, moi Jules, le grand chêne de la forêt. Et je montais, montais sans cesse. J’essayais quand même de me concentrer, car il faisait tellement froid, que mon corps se transformait en gouttelettes qui retombaient. C’est que c’est loin une étoile !

Je me dirigeais vers l’Etoile du Berger, qui cette nuit-l� , rayonnait de splendeur.

Quand elle me vit arriver, elle me dit :

- c’est toi Jules ?

Je toussotais un peu (pour une fumée, vous le comprendrez …), et lui répondis :

- Oui ! Tu ne sais pas ce qui se passe ?

- Et que pourrait-il se passer par une nuit si belle ?

Je criais � pleins poumons, mais l’espace était si vaste, que mon cri se dilua dans l’océan stellaire. Toutefois, comme une vague, il atteignit l’étoile.

- Le diable a enlevé l’enfant !

On aurait dit qu’un électricien divin avait branché du 100 000 volts. L’étoile, sous le coup de l’émotion, se mit � palpiter, � clignoter avec affolement, virant du jaune au rouge.

Quand elle se calma, elle prit � peine le temps de réfléchir et me dit :

- Je sais ce qu’il faut faire. Par la naissance du Sauveur, il ne nous échappera pas !

Et dans tous les coins du ciel, elle diffusa la nouvelle. Ce fut comme si le ciel entier s’illuminait, comme quand le soleil couchant sur la mer irise l’écume des vagues d’une multitude d’arc-en-ciel.

Moi, j’étais l� , près de l’étoile du berger, ébahi.

Alors, tout se passa très vite ; il fallait d’ailleurs faire vite, car le Sauveur nouveau-né l’avait voulu ainsi.

Le premier acte fut de repérer le diable. Où diable avait-il pu passer ? C’était un malin, qui pouvait se cacher dans le creux d’un roseau, sous l’aile d’un oiseau, sans que ceux-ci s’en aperçoivent.

Mais c’était compter sans l’efficacité des services de renseignements. Ceux-ci fonctionnaient � merveille. Ils étaient dotés de détecteurs � infra rouge, et vous ne me contesterez pas que pour le Diable, c’est tout indiqué.

Or, celui-ci avait préféré le chemin de la forêt. Il est vrai que la nuit, l’ombre forestière offrait un refuge sûr.

Mais nous suivions sa trace. Il était au milieu de mes amis, de mes enfants, des grands érables, chênes et hêtres aux branches tourmentées.

Il y eut alors comme un conseil de guerre. On ne pouvait prendre possession du diable, il était immortel. Mais on pouvait l’empêcher de bouger, le faire prisonnier, et avec sa manie d’être partout, il crierait vite grâce.

Et voici ce qui se passa.

Chaque étoile tint � y participer. Et si vous avez une idée du nombre d’étoiles qui peuplent le ciel, vous ne vous étonnerez pas de l’efficacité de ce qui se passa.

Chaque étoile se mit � coudre un rayon de lumière, fin et souple comme le fil de l’araignée. Cela flottait au vent nocturne comme une chevelure. Et puis, ces fils poussaient, poussaient, jusqu’� toucher la terre. Mais pas n’importe où ! Ils se dirigeaient tous vers ma forêt. Ils y rentraient, de partout, s’infiltraient entre les branches, tissant un voile immense � travers tous les étages de la forêt.

Ah, mes amis, quel spectacle, vu d’en haut !

On aurait dit une immense toile d’araignée qui recouvrait la forêt. Et tous ces fils brillaient. C’était le plus beau Noël que je voyais en trois cent ans !

Et puis, il y eut comme une infinie bonté. La voie lactée se couvrit de rosée, qui dégoulina lentement le long des fils d’étoiles. Ne vous y trompez pas, le Sauveur était l� . C’était de l’eau bénite.

C’est ainsi qu’� travers la forêt, d’arbre en arbre, de branche en branche, de ramilles en ramilles, une gigantesque toile d’eau bénite s’était formée.

Vous pensez la colère du diable !

Il était soudainement empêtré, empêché d’avancer, de reculer … Il y eut même quelques gouttes d’eau bénite qui tombèrent sur lui, et lui brûlèrent la peau avec des grésillements d’enfer. Il demanda vite grâce.

Car c’est un de ses traits majeurs. Le croirez-vous ? Le diable est très malin, et mauvais joueur, mais il n’est pas obstiné. Il sait promptement reconnaître sa défaite, comme s’il voulait passer le plus vite possible � un autre mauvais coup.

Je vous laisse � penser l’orgueil de la forêt. Nous avions fait prisonnier le diable ! Et j’oserais dire : j’avais fait prisonnier le diable ! Oh ! Bien sûr, avec l’aide des étoiles, et du Sauveur. N’empêche que sans moi ?

Alors, dans sa miséricorde, le Sauveur pardonna au Diable. Faut-il qu’il l’aime aussi, dans l’immensité de son amour ?

Il fut simplement condamné � remettre l’enfant l� où il l’avait pris.

Ce fut un spectacle de voir le diable, dans son costume vert et rouge, coiffé de son chapeau � plume, s’avancer � travers la forêt, marchant sur la neige qui fondait instantanément sous ses pas. Il n’était pas jusqu’aux écureuils qui se réveillaient pour voir passer cet étrange spectacle du diable qui portait dans ses bras un enfant, et se frayait un passage dans les grands houx couverts de boules.

Quand il rentra dans la maison, il y avait près de la cheminée un être bleu. C’était l’archange St Michel, avec sa longue épée de lumière. Dans la profondeur de ses yeux il y avait quelque océan dans lequel l’univers entier, le ciel et les étoiles lointaines, se reflétait. Il avait l’air sévère.

La famille était l� , de l’autre côté de la table, � genoux devant le miracle, effrayée par l’ange, et par le démon qui venait d’entrer.

L’ange n’eut pas un mot, pas un geste.

Le diable s’avança, se pencha, et posa l’enfant dans le berceau, non sans une certaine délicatesse.

Puis se tournant vers l’ange, il ricana, éclata d’un rire indescriptible, un rire sardonique, un rire � vous figer le sang dans les artères, un rire atroce, l’expression de la méchanceté incarnée.

Et brusquement, il s’engouffra dans la cheminée, et il osa même poser le pied sur moi ! Il monta comme une flamme. Il n’était plus l� , que son rire résonnait encore au-dessus de moi, d’écho en écho.

L’ange était resté de marbre. Toutefois, un sourire léger, comme le souffle d’une étoile filante qui passe subrepticement, illumina son fin visage. Puis, il disparut.

Je vous laisse deviner la joie de la famille ! Je n’en raconterai pas plus.

Quant � moi, je me remis � pétiller dans l’âtre. Mes braises n’avaient jamais été aussi luminescentes, et je lançais � tout venant des escarbilles qui tombaient sur le carrelage avec des petits sons de fête.

Le matin, je n’étais plus que cendre. Le maître de maison me ramassa pieusement – car n’oubliez pas que j’étais une bûche bénite ! Ma cendre servit � bien des choses, au cours de l’an qui s’ensuivit. Je guérissais les maladies des hommes et des bêtes. Mis au pied des pommiers, je les fertilisais. Et jetée sur le toit de la maison, je protégeais celle-ci du mauvais sort.

Ah ! Mes amis, ce fut vraiment ma nuit de gloire.

Le Noël suivant, le maître alla chercher encore d’autres bûches dans l’appentis. C’était encore moi, Jules, le vieux chêne.

En ce moment, je brûle � nouveau dans l’âtre. Et le souvenir m’est remonté � l’âme. C’est pourquoi je vous ai conté cette histoire.

Mais je suis sûr d’une chose, cette fois-ci.

C’est que le malin n’y reviendra pas !

Noël de l’an de grâce 1144

Jules


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